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Le jour où Bob Dylan est devenu Bob Dylan

Le photographe américain Rowland Scherman a immortalisé nombre d’événements culturels et politiques emblématiques des années 1960, et notamment le premier concert des Beatles aux États-Unis, ainsi que Woodstock. En 1963, il couvre le Newport Folk Festival, où Bob Dylan apparaît pour la première fois sur scène, accompagné de Joan Baez.

En juin 1963, je travaillais à Washington DC pour les relations publiques du Peace Corps. Cela peut sembler anodin, mais j’œuvrais depuis la création de cette nouvelle agence indépendante et j’avais littéralement parcouru le monde pour photographier les volontaires au travail. Lors de son discours inaugural, le président Kennedy nous avait demandé ce que nous pouvions faire pour notre pays.

© Rowland Scherman
Joan Baez & Bob Dylan, Newport, 1963 © Rowland Scherman

Et moi, comme des milliers d’autres, j’ai répondu présent. J’étais ce qu’on pourrait appeler un « amateur éclairé ». Je savais faire le point, entre autres bases, mais guère plus. En répondant à l’appel de JFK, j’ai embrassé ma carrière.

J’avais assisté à un concert de Peter, Paul et Mary et j’ai appris qu’ils allaient être les têtes d’affiche du Newport Folk Festival, avec Pete Seeger, Theo Bikel et Joan Baez. Cela semblait être un excellent programme, mais la raison principale pour laquelle j’y allais était que j’avais le béguin pour Mary Travers, et que je voulais la revoir.

J’ai pris un bus de Washington D.C. jusqu’à Newport, Rhode Island. Sans billet, ni carte de presse.

Rowland Scherman
Bob Dylan, Newport, 1963 © Rowland Scherman
Rowland Scherman
Bob Dylan, Newport, 1963 © Rowland Scherman

À l’époque, les concerts avaient lieu au Casino (aujourd’hui appelé le Tennis Hall of Fame). Le vendredi précédant l’arrivée des poids lourds, beaucoup de gens se pressaient autour de ce qui était annoncé comme l’« Atelier des auteurs-compositeurs ». L’un d’entre eux était un certain Bob Dylan, un jeune homme de 19 ans. Et tout à coup, je me suis retrouvé juste en face de lui.  Vêtu d’une chemisette miteuse, il avait un fouet enroulé autour de l’épaule, sans doute victime d’une nouvelle mode. Je me suis demandé d’où il sortait cette lubie vestimentaire. Du dernier bled visité ?  Et qui pouvait bien s’en accommoder ?  S’attendait-il à avoir des ennuis ?

Je lui ai lancé : « J’aimerais faire un sujet sur vous », et il a répondu : « D’accord, ce serait super. » Je n’avais pas la moindre idée de la suite car je n’avais aucune commande.  Je ne faisais pas encore de photo reportage, même si ça me trottait déjà dans la tête. Et si j’avais bien un book, je ne l’avais encore montré à personne. J’ai pris la photo de Dylan – une seule – la première que j’ai faite de lui.

Rowland Scherman
Bob Dylan, Newport, 1963 © Rowland Scherman

Un peu plus tard, Bob a accordé sa guitare et a commencé à jouer ses chansons. Il devait y avoir une centaine de personnes dans le public, assises sur l’herbe devant la scène. Au bout d’un ou deux morceaux, la superstar du folk Joan Baez s’est installée sur une chaise à côté de Bob pour chanter avec lui. J’ignorais qu’ils étaient potes et qu’elle connaissait sans doute toutes ses chansons. Instantanément, une foule impressionnante s’est agglutinée. Les harmonies que Joan posait sur les titres de Dylan leur conféraient une crédibilité inédite.

Je me suis approché et très vite retrouvé sur la scène, derrière eux. C’était plus fort que moi. Je savais que j’étais là où je devais être, que je vivais un moment qui ferait date. Parfois, ces choses-là sont évidentes. J’étais vraiment très proche d’eux et j’imagine aujourd’hui que l’unique raison pour laquelle on ne m’a pas viré de la scène est que j’avais plusieurs appareils photo et que je semblais savoir ce que je faisais. 

Le public – et j’espère votre serviteur – fut à la hauteur de l’événement. Qui semblait de la plus haute importance. Cette foule, désormais plusieurs centaines de personnes, était-elle la plus grande audience qu’il avait jamais eue ? Après le concert, Bob, tout heureux de voir la chanteuse de blues Victoria Spivey dans les coulisses, lui roula une pelle. J’ai découvert bien plus tard que Bob avait joué de l’harmonica pour elle l’année précédente.

Tout le monde ne parlait plus que du duo de Dylan avec Joan Baez : avez-vous eu la chance d’assister à ce moment de grâce ? 

Rowland Scherman
Bob Dylan, Newport, 1963 © Rowland Scherman
Rowland Scherman
Bob Dylan, Newport, 1963 © Rowland Scherman

Le samedi soir, Bob eut droit aux honneurs de la grande scène, grâce à sa prestation de l’après-midi précédent. Le sang-froid et l’assurance avec lesquels il a géré cette grande première n’ont jamais cessé de m’étonner. Face à des milliers de personnes, Dylan a fait le job avec brio – jouant non seulement « The Lonely death of Hattie Carroll », mais aussi des titres plus optimistes comme « Talking World War Three Blues ». La foule était aux anges et elle lui a fait un triomphe. Le buzz Dylan a dépassé cette performance emblématique…

…car le dimanche, après que Peter Paul et Mary aient chanté « Blowin’ in the Wind », il fut convié sur scène pour un rappel. Pete Seeger, Theo Bikel, Joan Baez, les Freedom Singers et Peter Paul et Mary faisaient maintenant les chœurs ! En l’espace d’un week-end, Dylan était passé de quasi-inconnu à l’icône folk qu’il est resté. Et j’avais des images de la plupart de ces moments inoubliables.

Planches contact de la série sur Bob Dylan © Rowland Scherman
Planche contact de la série sur Bob Dylan, Newport, 1963 © Rowland Scherman
Planches contact de la série sur Bob Dylan © Rowland Scherman
Planche contact de la série sur Bob Dylan, Newport, 1963 © Rowland Scherman

Quelques années plus tard, lorsque Dylan est passé à l’électrique, je me suis glissé dans les coulisses à Washington, D.C. Je l’ai photographié à contre-jour, avec cette lumière bleue et ce halo blanc, et une de ces images allait devenir la pochette de son album Greatest Hits. Avec un Grammy Award à la clef ! Je n’y ai pas prêté attention sur le moment, mais cette photo est devenue symbolique des années 1960. J’en suis assez fier, même si je dois reconnaître que tout cela m’échappait à l’époque. Et quelle époque !

Les photographies de Rowland Scherman sont en vente son site internet.

Bob Dylan, Newport, 1963 © Rowland Scherman

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