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Revoir Susan Sontag

Nouvelle édition illustrée de On Photography, qui réactive les essais de Susan Sontag, celle qui sut, avec passion et certitude, montrer l’influence, parfois fatidique, de la photographie dans nos sociétés.

Paraît en anglais une nouvelle édition de On Photography (« Sur la Photographie ») de Susan Sontag (1933-2004), le manuel de survie d’une génération dopée à l’argentique, si l’on met de côté trois auteurs vénérés, Roland Barthes, Walter Benjamin et Gisèle Freund, pour ne citer que les plus cités. 

Édité par The Folio Society/London, ce livre original est très réussi, reliure, typographie, maquette, papier, tout est soigné et facilite la lecture de ces textes plus ou moins intrigants, d’abord publiés par The New York Review of Books entre 1973 et 1977.

Pour la première fois, On Photography est accompagné de vingt-deux photographies, dont celle de couverture, une femme à la fourrure, rêveuse, signée Walker Evans, l’une des icônes de l’Amérique du 20ème siècle. 

« C’est une image simple et tranquille, et la figure humaine attire toujours les gens », remarque Mandy Kirkby, l’éditrice de cet ouvrage attachant. Si ces photographies ne changent rien à l’habileté initiale du livre de Susan Sontag, à son écriture passionnée, leur présence ajoute une certaine fantaisie, utile pour cerner aujourd’hui l’évidence croissante du médium. 

Auteure de la préface de On Photography, Mia Fireman, conservatrice de la photographie au Metropolitan Museum of Art, a répondu aux questions de Blind.  

Nadar avec sa femme, Ernestine, dans un ballon. Nadar, vers 1865 (Collection Gilman, achat du musée, 2005 (2005.100.313). The Metropolitan Museum of Art, New York). Illustrée dans le livre de Susan Sontag
Nadar avec sa femme, Ernestine, dans un ballon. Nadar, vers 1865 (Collection Gilman, achat du musée, 2005 (2005.100.313). The Metropolitan Museum of Art, New York)

Que représente Susan Sontag pour vous et votre génération ? Un modèle? Une militante? Une intellectuelle ? 

Je ne prétends pas parler au nom de ma génération, mais pour moi, Susan Sontag était tout cela à la fois : intellectuelle réputée, militante, modèle, mais aussi romancière, metteuse en scène et réalisatrice. C’est une de mes héroïnes depuis que j’ai lu son œuvre pour la première fois à l’université.

Son livre On Photography est-il un ouvrage de référence parmi d’autres ou l’ouvrage de référence? 

Je ne considère pas On Photography comme un ouvrage de référence, car ce n’est pas un livre que je consulterais pour des références factuelles ou historiques. Il s’agit plutôt d’un livre à l’écriture puissante et inspirante, rempli de réflexions très personnelles sur la photographie et son rôle prépondérant dans la société occidentale moderne.

Spectre de Coca-Cola. Clarence John Laughlin, 1962 (Les archives de Clarence John Laughlin à la Collection historique de la Nouvelle-Orléans). Nadar avec sa femme, Ernestine, dans un ballon. Nadar, vers 1865 (Collection Gilman, achat du musée, 2005 (2005.100.313). The Metropolitan Museum of Art, New York). Illustrée dans le livre de Susan Sontag "Sur la Photographie"
Spectre de Coca-Cola. Clarence John Laughlin, 1962 (Les archives de Clarence John Laughlin à la Collection historique de la Nouvelle-Orléans)

Diriez-vous que ce livre de Susan Sontag, dans son intention, est proche de La Chambre claire de Roland Barthes – auquel d’ailleurs la traduction de On Photography est dédiée ? 

À l’instar de La Chambre claire de Barthes, On Photography est l’un des textes fondateurs de la théorie photographique du XXe siècle à la française, ce qui signifie qu’il s’agit d’une tentative très personnelle et philosophique de penser le médium photographique dans son ensemble plutôt que d’analyser ou de critiquer séparément des photographies ou des photographes. 

En quoi On Photography vous paraît-il encore actuel dans son propos, compte-tenu de ce qu’est aujourd’hui la photographie, à la fois reconnue comme un art et pratiquée par des millions et des millions d’amateurs avec leur smartphone? 

Susan Sontag a été extraordinairement visionnaire quant à l’évolution du médium, en particulier son analyse de la photographie en tant que mode de consommation, qui est devenue encore plus prononcée à l’ère des médias sociaux, ainsi que ses mises en garde contre la fatigue de la compassion résultant du flux incessant de photographies de guerre et d’atrocités. 

Champ de bataille où le général Reynolds est tombé, Gettysburg. Timothy H. O'Sullivan, 1863. (Collection Gilman, Achat, Don Ann Tenenbaum et Thomas H. Lee, 2005/ The Metropolitan Museum of Art). Illustrée dans le livre de Susan Sontag "Sur la Photographie"
Champ de bataille où le général Reynolds est tombé, Gettysburg. Timothy H. O’Sullivan, 1863. (Collection Gilman, Achat, Don Ann Tenenbaum et Thomas H. Lee, 2005/ The Metropolitan Museum of Art)

Et qu’est-ce qui vous a paru daté, ou anachronique? 

Les sections les plus anciennes du livre concernent ses arguments avec la “communauté de la photographie” (critiques, photographes, universitaires, etc.) concernant ce qu’elle considère comme une importance excessive accordée à la légitimation du médium en tant que forme d’art. 

Bien que cela ne soit plus aussi pertinent aujourd’hui, lorsqu’elle a écrit ces essais dans les années 1970, la question « La photographie est-elle un art ? » était omniprésente. Susan Sontag pensait que c’était une question très ennuyeuse à poser sur un médium incroyablement riche et multiforme.

Trouvez-vous curieux, par exemple, que Susan Sontag ait peu évoqué les femmes photographes, à part Abbott et Arbus? 

Pas vraiment. Le canon de la photographie dans les années 1970 était fortement dominé par les hommes, tout comme les livres et les expositions sur lesquels Sontag a basé ses recherches, il n’est donc pas surprenant qu’il n’y ait pas plus de femmes photographes dans ses essais. 

Cependant, Susan Sontag parle du travail d’Arbus, d’Abbott, de Dorothea Lange, de Lisette Model et de Julia Margaret Cameron, et il y a un essai entier sur Leni Riefenstahl qu’elle a écrit pour The New York Review of Books, lequel n’a pas été inclus dans le livre.

Mère migrante. Dorothea Lange, 1936. (Library of Congress, Prints & Photographs Division, Farm Security Administration/Office of War Information Black-and-White Negatives). Illustrée dans le livre de Susan Sontag
Mère migrante. Dorothea Lange, 1936. (Library of Congress, Prints & Photographs Division, Farm Security Administration/Office of War Information Black-and-White Negatives)

Cette édition de On Photography est la première avec des reproductions de photographies. Comment avez-vous choisi les photographies? 

J’ai travaillé avec la Folio Society pour choisir les images qui étaient soit directement mentionnées dans le texte, soit suffisamment similaires pour aider à éclairer ses arguments.

Comment avez-vous imaginé, puis écrit, votre préface? Avez-vous pensé aux « anciens » lecteurs ou plutôt aux nouveaux? 

J’ai pensé aux lecteurs qui découvraient le livre pour la première fois, ainsi qu’à ceux qui y revenaient.

A votre avis, cette édition sera-t-elle mieux accueillie par le monde de la photographie ? Était-elle, d’une certaine façon, en avance sur sa manière d’imaginer la photographie?

Il s’agit d’une petite édition spécialisée d’un texte classique publié il y a un demi-siècle. Je suis sûr que la réception sera totalement différente de celle de sa publication originale en 1978.

Une dernière question, en lien avec votre activité au Met. Depuis 1997, date de votre arrivée au musée, quel est, selon vous, le plus important changement qui a touché le milieu de la photographie? La confiance des collectionneurs envers ce médium. La multiplication des ventes et des festivals de photographie. La présence éditoriale des historiens de la photographie. L’intérêt croissant pour le XIXe siècle. La mise en lumière des femmes photographes. 

Tous ces changements sont tout à fait pertinents pour la communauté des photographes, mais à mon avis, le changement le plus important dans le domaine de la photographie au cours des vingt dernières années a été l’essor des smartphones et des médias sociaux.

Frederick Langenheim regardant des talbotypes. William et Frederick Langenheim, 1849-51. (Collection Gilman, don de la Fondation Howard Gilman, 2005/The Metropolitan Museum of Art, New York). Illustrée dans le livre de Susan Sontag "Sur la Photographie"
Frederick Langenheim regardant des talbotypes. William et Frederick Langenheim, 1849-51. (Collection Gilman, don de la Fondation Howard Gilman, 2005/The Metropolitan Museum of Art, New York)
"Sur la Photographie", Susan Sontag.
On Photography, Susan Sontag.

On Photography / Sur la photographie (et de nombreux autres livres de Susan Sontag) est disponible en français chez Christian Bourgois.

En savoir plus sur Susan Sontag avec Sempre Susan, Souvenirs sur Sontag, de Sigrid Nunez, 13e Note Éditions (mai 2012), traduit par Ariane Bataille. Un petit livre (100 g !) délicieusement ironique.

"Sur la Photographie", Susan Sontag.
On Photography, Susan Sontag.

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