
Dans un coin d’une pièce, pendant que ses camarades démontent un fusil d’assaut, un garçon du Club militaire patriotique de Mospino se recroqueville. La scène interpelle. C’est l’une des nombreuses photographies d’enfants formés à la guerre qui figurent dans Parias, le livre de Yegan Mazandarani. On les voit s’entraîner au combat, se familiariser avec des armes, se défier, se tenir en rang serré. « J’ai 12 ans, et je veux être plus fort pour protéger ma famille », dit un autre. « Je voudrais devenir soldat et prendre exemple sur mon coach. Le plus dur ici? C’est peut-être la lutte avec les garçons plus vieux que moi. »

Les images sont douces et contrastent avec le récit du photographe. « La démonstration des enfants monte crescendo, je reste stupéfait, je photographie. Je les vois se battre dans la salle avec une férocité incroyable. Ce n’est pas normal. Je suis heurté car je pense à mon enfance. Mes jeux, ce qu’on m’a appris, le calme du petit hameau ensoleillé de Marly-la-Ville. »

Le conflit du Donbass entre l’Ukraine et la Fédération de Russie éclate à la faveur de la crise politique que connaît l’Ukraine fin novembre 2013. Depuis plus de six ans, aucune solution pour arrêter les affrontements entre forces ukrainiennes et séparatistes pro-russes n’a pu être trouvée.

A ce jour cette guerre a déjà fait plus de 13 000 morts et environ 30 000 blessés, 1,4 million de personnes ayant été contraintes de fuir leur lieu de résidence vers les autres régions d’Ukraine, et environ 1 million de réfugiés a rejoint les États frontaliers. Le Donbass est devenu l’une des zones les plus minées du monde avec l’Afghanistan et l’Irak. Et des tranchées, photographiées par Yegan Mazandarani, qui rappellent celles de la Première Guerre mondiale, ont été creusées par les soldats engagés dans ce long conflit.

« Je voulais voir au moins une fois de mes yeux ce qu’était la guerre », raconte le photographe. « J’avais peut-être un peu envie de me mettre en danger, et aussi d’être dans ce moment calme de la photographie que j’aime beaucoup. Je suis juste parti faire des photos, sans véritable projet en tête, et j’étais loin de penser que j’allais produire un livre à mon retour. »

Pour son projet documentaire, Yegan Mazandarani a manifestement pris le temps de s’intéresser à cette population, ces hommes, ces femmes, ces enfants, ces soldats, qui vivent à l’ombre de la guerre, au milieu des ruines. Tout au long du livre, on découvre en images mais aussi en textes leur histoires personnelles, leur quotidien, leur vision de la situation, leur aspirations. « Beaucoup de choses m’ont frappé au Donbass », dit-il. « Ce sentiment de tristesse diffus, cette chape sur la ville, le territoire et les visages marqués par la guerre. La manière dont il a été parfois possible de voir du bonheur et des rires dans ce chaos. Les gens, leurs histoires, la folie aussi. »

Les photographies – portraits soignés, scènes émouvantes, paysages dénaturés – apportent un regard intime sur l’envers du décor d’un terrain de guerre, aux antipodes du photojournalisme d’actualité. Cartes et planches-contacts complètent une mise en page qui joue aussi bien sur l’émotion que l’information. Une façon juste de comprendre ce conflit et d’entendre la voix de ceux qui le vivent.

Le titre du livre, Parias, alerte lui sur la situation d’une population mise à l’écart de la communauté internationale, isolée, ignorée; et fait référence à d’autres « parias » rencontré par Yegan Mazandarani: des gens venus de France, des Pays-Bas ou des Etats-Unis, en marge dans leur propre pays et venu trouver quelque chose au Donbass qu’ils n’ont pas chez eux. Détails intéressants: l’ouvrage est imprimé par Escourbiac, selon un procédé respectueux de l’environnement, et le format évoque les carnets Moleskine noir avec lesquels il travaille au quotidien.

« En tant qu’homme, j’ai vu un peu plus le poids des dogmes, l’instrumentalisation des passions et la folie qu’est la guerre. Et peut-être ai-je mieux appris à être humble devant des choix ou des situations que je ne comprends pas. En tant que photographe, ce travail m’a beaucoup fait évoluer. D’abord, c’est la première fois que j’ose montrer ce que j’écris, et ce fut un pas énorme qui m’a demandé du temps, pour dépasser cette peur et assumer mes mots. C’est aussi le premier projet où j’ai passé autant de temps à travailler les images, la sélection, l’expo. J’ai fait le choix de tout réaliser de manière indépendante et de m’occuper de chaque détail. »

Par Jonas Cuénin
Yegan Mazandarani, Parias
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