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Comment réaliser un projet photographique

Comment réaliser un projet photographique

Construire un projet photographique est une expérience au cours de laquelle on apprend à mieux appréhender un sujet et se trouver un positionnement. Suivez les conseils de la photographe Gaia Squarci pour mieux le préparer et atteindre votre objectif.

Les photographes documentaires, comme les photojournalistes et les images photojournalistiques, sont censés capturer le monde ou la vie quotidienne, telle qu’elle existe, sans mettre en scène ou diriger les choses. La photographie documentaire est ainsi reconnue pour faire la chronique d’événements importants et historiques, ou simplement pour raconter des histoires en images. Cela peut être un long processus. Construire un projet photographique est donc un voyage au cours duquel vous apprenez à mieux appréhender un sujet et vous positionner face à lui. Outre le travail que l’on effectue sur le terrain (se familiariser avec les lieux et les sujets, prendre des photos ou faire des interviews), travailler sur un projet implique bon nombre de recherches et de démarches au niveau de la production, qui doivent avoir lieu avant, pendant, et après les prises de vue.

1. Faites des recherches sur votre sujet

En 2020, l’on a peine à imaginer qu’un sujet n’ait pas été évoqué par écrit, photographié, ou illustré d’une manière ou d’une autre. Même si votre projet couvre des événements d’actualité, il y a toujours une tradition visuelle liée à la représentation de ce type d’événements, qui peut être en rapport avec la politique, la guerre, les manifestations ou les catastrophes naturelles. Si vous photographiez un lieu que personne, vous semble-t-il, n’a jamais photographié avant vous, reprenez l’histoire de l’art, et vous découvrirez très certainement des peintures, des sculptures, ou une architecture qui pourront vous fournir des idées et vous inspirer.

Dès que vous décidez de travailler sur un sujet, vous êtes tenu de le connaître intimement. Vous pouvez le faire en lisant des livres et des articles, en recherchant des archives, en assistant à des expositions, en naviguant sur le Web pour examiner des projets photo actuels sur des thèmes similaires.

Le bureau caractéristique d’un photographe effectuant des recherches © Gaia Squarci

La quantité de matériel que vous découvrirez ne devrait pas vous décourager de poursuivre : elle vous permettra une prise de conscience fondamentale de votre position par rapport au sujet, et de la perspective que vous pouvez offrir sur lui.

Certains projets vous inspireront, d’autres vous aideront à comprendre quelles erreurs vous ne voulez pas faire.

Laissez-vous ennuyer par les images que vous avez déjà vues, que d’autres photographes auraient pu prendre, et élargissez vos références pour trouver des liens avec un film, un texte ou une œuvre d’art.

2. Trouvez une idée

Pour tout sujet vaste et complexe, vous devrez choisir votre angle d’approche et ce que vous voulez exprimer.

Lorsqu’on présente une histoire à un iconographe ou à un galeriste, l’on peut supposer qu’ils ont vu mille projets portant sur le même thème.  Ils sont fatigués de la rhétorique visuelle qui y est liée. Pourtant, votre travail est un outil pour les surprendre et vous surprendre vous-même, en considérant le sujet sous un angle inhabituel ou en le traitant d’une manière sans précédent.

Vous ne travaillerez pas sur le changement climatique, mais sur la manière dont le changement climatique affecte le cycle de la mousson dans le sud de l’Inde. Pas sur la violence contre les femmes, mais sur l’aide qu’une organisation militante au Caire apporte aux femmes victimes de violence domestique.

De la série “Life on Mars” © Gaia Squarci

Pensez visuellement. Se connaître en tant que photographe vous aide à comprendre quels types d’approche fonctionneraient pour vous. La plupart des sujets intéressants sont complexes et difficiles à visualiser, mais les meilleures idées résultent souvent de la nécessité de contourner des obstacles.

Des œuvres telles que The Winners de Rafal Milach ou Blue Sky Days de Tomas Van Houtryve montrent clairement comment des thèmes tels que la propagande et la surveillance peuvent être abordés de manière créative.

3. Rédigez un bref énoncé

Lorsque vous travaillez sur un nouveau projet, l’une des premières étapes consiste à rédiger quelques paragraphes qui en décrivent le sujet. Ce texte peut être envoyé à un iconographe comme pitch d’un reportage potentiel ou après avoir réalisé le projet, mais c’est également un outil que vous pouvez utiliser pour vous-même. Cela vous oblige à mettre noir sur blanc ce qui vous intéresse et le message que vous souhaitez transmettre, et vous aide également à suivre une direction donnée lorsque vous photographiez.

Pensez à ce qui se passe lorsqu’on dit quelque chose à un ami ou à un thérapeute : notre idée ou notre sentiment prend une forme réelle pour la première fois. Ainsi, la manière dont on définit ses priorités et les mots que l’on utilise lorsqu’on doit expliquer son intention à quelqu’un nous obligent à être plus clair envers nous-même, et facilite notre concentration lors des prises de vue.

Ecrire est devenu une compétence important à maitriser pour un photographe © Gaia Squarci

Ce paragraphe peut et doit être réécrit, en fonction de ce que vous apprendrez de nouveau sur votre sujet et ses personnages, des modifications éventuelles de certaines idées initiales, et de la découverte de nouveaux aspects importants de la narration que vous aviez ignorés auparavant.

Lorsque vous écrivez à un iconographe, vous pouvez utiliser des références pour suggérer à l’interlocuteur en quoi votre histoire est pertinente, et pourquoi elle l’est, peut-être, à l’heure même où vous écrivez. Les iconographes ont généralement besoin d’actualités, de jours anniversaires, d’événements spécifiques pour justifier la publication d’une histoire à un moment donné : ils sont constamment à l’écoute des thèmes suscitant un large intérêt du public à telle époque, telle saison, ou tel jour de l’année.

Vous devez être très concis et donner à l’iconographe la possibilité de visualiser le travail que vous allez produire.

Si vous avez l’intention d’utiliser, ou que vous avez déjà utilisé une approche visuelle spécifique (galerie de portraits, paysages, diptyques, alternance entre natures mortes et photographie documentaire traditionnelle), mentionnez-la en une phrase.

4. Réalisez un schéma conceptuel et un plan de mise en oeuvre

Un schéma conceptuel est un outil personnel que vous pouvez utiliser pour planifier vos prises de vue et établir des liens entre toutes les idées que vous pourriez  avoir, en relation avec votre projet.

Mon conseil est de déterminer un concept central qui se connecterait à toutes les autres idées figurant sur votre schéma, puis de penser aux éléments que vous souhaitez inclure. Inscrivez-les sur le schéma pour voir en quoi ils sont liés à l’idée principale et entre eux.

Au fur et à mesure que vous travaillez sur votre projet, le schéma vous aidera à visualiser les éléments que vous avez négligés, ceux pour lesquels vous avez beaucoup de matériel, et les prises de vue que vous devez planifier.

Selon la nature de votre projet, établissez un plan de mise en œuvre plus ou moins souple. Envisagez-vous d’avoir achevé votre projet dans un mois, un an, ou davantage? A quels événements devez-vous être présent? À quelle fréquence prévoyez-vous de rendre visite à un sujet?

Schéma de travail pour le projet “Life on Mars” © Gaia Squarci

5. Obtenez des autorisations

À moins que vous ne photographiez votre propre famille ou vos amis, il y aura toujours des démarches à faire au niveau de la production. La plupart consistent à contacter les personnes qui vous permettront l’accès à ce que vous voulez photographier. Les ONG travaillant sur le terrain, les centres médicaux, les écrivains qui ont travaillé sur un thème similaire, les ambassades, les refuges pour les sans-abri, les partis politiques, sont autant d’entités dont les bureaux de presse peuvent être contactés par téléphone ou par courrier électronique, afin de vous faire ouvrir des portes qui semblent irrémédiablement fermées. S’habituer à ces démarches prend un certain temps, dans la mesure où il faut de la confiance en soi, du savoir-faire et une bonne connaissance du sujet pour surmonter nos peurs et convaincre des étrangers de croire en nous. Au fil du temps, cela renforce la personnalité des photographes et devient une seconde nature, et l’on découvre qu’il est incroyablement facile, parfois, d’obtenir une autorisation, tandis que d’autres fois, l’on doit essuyer de nombreux refus avant d’être en présence de ce que nous voulons photographier.

Les précieuses relations que vous vous faites doivent être entretenues tout au long des prises de vue et par la suite, en évoquant clairement dès le début la nature du projet et sa distribution éventuelle. L’absence de communication efficace peut souvent entraîner des malentendus, des déceptions, voire la révocation d’une autorisation.

Il est indispensable de respecter la confiance que les gens vous accordent, ou de comprendre leur réticence à s’exposer à un public d’étrangers. Cela dit, une fois l’autorisation de photographier obtenue, il est bon que les photographes demandent au sujet de signer une autorisation de publication permettant d’utiliser les photos à des fins iconographiques et culturelles, afin d’éviter tout problème juridique lié à la distribution du projet.

De nombreux modèles d’autorisations de publication peuvent être facilement trouvés en ligne.

Une alternative aux autorisations: la photographie aérienne © Gaia Squarci

6. Recherchez un financement

Il existe différentes manières de rechercher un financement pour votre travail. Celui qui vous convient dépend de la nature du projet, mais sachez que la plupart des sponsors sont prêts à subventionner les photographes qui ont déjà beaucoup travaillé sur un sujet et prévoient de continuer à le faire.

Subventions

De nombreuses subventions sont offertes tout au long de l’année pour soutenir des projets sur des thèmes variés. Le changement climatique, les droits de l’homme, l’éducation et le développement comptent parmi ceux qui sont les plus recherchés par les sponsors. Des listes complètes de subventions et leurs dates limites sont disponibles en ligne, et des groupes Facebook se consacrent également à tenir le public à jour.

La Fondation Alexia, la Fondation Rita et Alex Hillman, la Fondation Magnum sont parmi les sponsors les plus célèbres, mais quant aux autres, les subventions s’obtiennent d’autant plus facilement que le sujet que vous souhaitez couvrir est précis, car le nombre de candidats est plus restreint.

Il existe également des subventions et des possibilités de financement réservées aux femmes, aux minorités et aux professionnels qui sont sous-représentés dans la profession. L’IWMF, par exemple, finance régulièrement des voyages de travail pour les femmes journalistes dans tous les domaines (photographie, écriture, radio, vidéo et télévision) souhaitant se rendre dans des régions spécifiques du monde, et offre une formation gratuite aux journalistes travaillant dans des zones de conflit. Women Photograph a créé une base de données de femmes photographes professionnelles du monde entier, et finance des projets de femmes et d’artistes non binaires.

Prix

Il existe un certain nombre de prix récompensant financièrement les lauréats, et parfois les finalistes, tandis que d’autres ne fournissent qu’une certaine visibilité. Le Leica Oscar Barnak Award, le Carmignac Photojournalism Award, le Eugene Smith Award sont parmi les prix les plus prestigieux, et la somme versée au lauréat est considérable, mais dans ce cas également, une bonne recherche peut vous aider à trouver des prix où la concurrence sera moindre.

Les clients

Selon le sujet et le domaine que vous privilégiez, vous pourrez peut-être trouver des entreprises privées, des instituts ou des centres de recherche intéressés par un travail photographique similaire à celui que vous produisez. Vous pouvez utiliser cette opportunité pour répondre ponctuellement à leurs besoins, ce qui vous donnera peut-être un accès rémunéré à des zones ou à des personnes difficiles à approcher. Ce type d’offres peut facilement vous permettre de travailler en même temps pour votre propre compte, tant que vous conservez, par contrat, le droit d’auteur sur les images et que vous n’avez aucune restriction sur la manière de les utiliser.

Les publications

Le marché de l’iconographie est difficile, à l’heure actuelle, car les dernières décennies ont vu les budgets se réduire progressivement et les missions se raréfier et se raccourcir. Si vous vendez votre projet à une seule publication, cela suffira difficilement à compenser vos dépenses pour le réaliser. Cela dit, en tant que pigiste, vous avez la possibilité de vendre votre reportage à plus d’un organe de presse, et l’accumulation de ventes différentes constituera un retour sur investissement plus important. En règle générale, un organe de presse ne publiera pas un projet qui l’a déjà été dans le même pays par un concurrent, mais le fera s’il n’a été publié qu’à l’étranger. Parmi les rares exceptions, l’on compte le New York Times Magazine et le New Yorker. Les contrats stipulent généralement, que les photographes doivent observer une période d’embargo (30 jours, par exemple), à l’issue de laquelle ils peuvent vendre leurs images à nouveau.

L’éditeur photo Paul Moakley, du magazine TIME © Gaia Squarci

7. Trouvez les contacts nécessaires sur le marché de l’image

Si l’objectif de votre projet est de figurer dans une publication, faites des recherches sur les organes de presse diffusant des reportages sur des sujets similaires à celui que vous avez choisi, et ceux qui favorisent un style visuel et une approche similaire à la vôtre.

Le monde de la photographie est très compétitif, mais les photographes sont conscients qu’il est pratiquement impossible de produire et de distribuer des projets si l’on est seul, et nous nous entraidons continuellement en partageant nos contacts parmi les iconographes et leurs intermédiaires. Nous nous prêtons et nous empruntons du matériel les uns aux autres, échangeons des conseils sur la demande de certains visas et la manière d’avoir accès à une grande variété de lieux. Cet état d’esprit collaboratif et généreux mène très loin.

Il faut du temps pour entrer dans la course, se charger de nouvelles tâches et faire face à une terrible multitude d’inconnus, tout en trouvant la concentration nécessaire à produire un travail et à en faire l’éditing. Ce que l’expérience m’a appris, c’est que la prise de vue n’est pas le seul aspect enrichissant d’un travail quel qu’il soit. Il y a aussi les gens que vous rencontrez lorsque vous êtes à la recherche de contacts, les lectures et la réflexion qu’impliquent l’écriture de votre projet, l’excitation de vous trouver dans un lieu que vous pensiez inaccessible, les situations fantasmagoriques dans lesquelles vous ne vous seriez jamais trouvé sans l’intention de photographier. Vos efforts constitueront un bagage durable, qui parfois changera votre personnalité, et ceci  peut être plus mémorable que vos photographies elles-mêmes.

De la série “Life on Mars” © Gaia Squarci

Par Gaia Squarci

Gaia Squarci est photographe et vidéaste. Elle partage son temps entre Milan et New York, où elle enseigne le multimédia à l’ICP (International Center of Photography). Elle collabore avec l’agence Prospekt et Reuters. Ses photographies ont été publiées dans le New York Times, le New Yorker, Time Magazine, Vogue, The Guardian, Der Spiegel, entre autres. Son travail a été exposé aux États-Unis, en Italie, en France, en Suisse et au Royaume-Uni.

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