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20 ans de La Gacilly : la nature au centre du village

Pour ses 20 ans, le festival de photographie, gratuit et en plein air, continue de mettre à l’honneur la nature dans tous ses états, de la crise climatique aux relations humaines en passant par des notes d’espoir et de poésie. Une édition anniversaire d’un festival qui, comme beaucoup d’évènements culturels, doit aussi faire face à la réalité économique.

Quand on fête ses 20 ans, on invite les bons amis, on retrouve les fidèles et la famille, on convie les compagnons de route qui finissent toujours par revenir. Le festival photo de La Gacilly célèbre cette année une double décennie, avec toujours cette farouche envie de donner pleine lumière à la photographie, pour tous, en plein air, et gratuitement. Du 1er juin au 1er octobre, une nouvelle fois, la petite commune morbihannaise de 4 000 habitants raconte sur ses murs, dans ses rues et ses jardins, le monde par l’image.

La maison de Tina Bakasek sur un terrain nouvellement acquis suite à Camp Fire. « C’est ici que j’ai rencontré mon premier amour, que je l’ai épousé. J’y a fondé ma famille, élevé mes enfants. Je me sens extrêmement chanceuse d’avoir survécu à Camp Fire, je ne voudrais quitter Paradise pour rien au monde. » Août 2021
La maison de Tina Bakasek sur un terrain nouvellement acquis suite à Camp Fire. « C’est ici que j’ai rencontré mon premier amour, que je l’ai épousé. J’y a fondé ma famille, élevé mes enfants. Je me sens extrêmement chanceuse d’avoir survécu à Camp Fire, je ne voudrais quitter Paradise pour rien au monde. » Août 2021. © Maxime Riché

Avec le thème de la « la Nature en héritage », La Gacilly nous rappelle que sensibiliser, par la photographie, à la sauvegarde de la maison commune a toujours été au cœur de l’identité du festival. « On a creusé ce sillon depuis 20 ans, pour montrer une écologie positive, montrer cette nature en héritage que l’on doit transmettre à nos enfants et nos petits enfants », présente Cyril Drouhet, commissaire des expositions du festival et directeur photo et reportages au Figaro Magazine. 

Depuis 2004, et la première édition, près de 330 photographes ont été exposés. Doisneau, Lartigue, Abbas, Koudelka, Horvat… Des grands noms y sont passés. Cette année encore, de belles signatures s’exposent de façon souvent inédite, en géant, sous les arbres et au bord de l’eau. 

L’Homme & la Terre

À l’entrée, le visiteur est accueilli par une équipée de pingouins perchés sur la banquise antarctique. La photo – immense toile dressée sur le mur d’une maison – est de l’américain David Doubilet, légende vivante de l’imagerie sous-marine. L’auteur d’une dizaine de livres et de plus de 70 parutions dans le prestigieux National Geographic rappelle que nos connaissances sur les profondeurs se limitent à cette face émergée de l’iceberg : « On ne voit et on ne connaît qu’une infime partie des océans… La prise de vue sous l’eau est si technique, que réussir une bonne photo sous-marine est déjà une récompense. Mais la vraie récompense c’est d’arriver à sensibiliser les gens », confie l’émissaire de la planète bleue, âgé de 77 ans. 

Un groupe de barracudas entoure la plongeuse Dinah Halstead dans les eaux claires de Papouasie-Nouvelle-Guinée.
Un groupe de barracudas entoure la plongeuse Dinah Halstead dans les eaux claires de Papouasie-Nouvelle-Guinée. © David Doubilet
Manchots gentoo et manchots à jugulaire sur une banquise près de l'île de danko, Antarctique. © David Doubilet
Manchots gentoo et manchots à jugulaire sur une banquise près de l’île de danko, Antarctique. © David Doubilet

Sur le plancher du monde, un autre ambassadeur de Dame nature est mis à l’honneur sous les arbres. Les noir et blanc merveilleux de Sebastiao Salgado, amoureux fou de l’Amazonie, prennent vie à l’ombre des feuillages.

À La Gacilly, les photos respirent et s’expriment à l’air libre. La photographie est vivante. À l’écoute des exigences des photographes, le festival sait mettre à l’honneur leur travail. Les tirages géants de grande qualité – réalisés pour les plus grands grâce à la technologie de la soudure par ultrasons – respectent l’œuvre et la magnifient. 

Les arbres de Beth Moon n’ont jamais été aussi majestueux. Les jaguars, gueule grande ouverte, de Brent Stirton sont plus vrais que nature. Le photographe sud-africain, fidèle parmi les fidèles, s’est rendu – grâce au soutien de la fondation Yves Rocher – dans la région du Pantanal, plus grande zone humide au monde située au Brésil. « Si l’Amazonie est le poumon de la planète, le Pantanal en est le cœur », rappelle le journaliste Vincent Jolly qui a accompagné le photographe lors de ce reportage. En 2020, une vague d’incendies dévastateurs a détruit près de 30% de ce trésor de biodiversité, tuant 17 millions d’animaux. 

Bela Yawanawá avec une coiffe et le visage peint. Territoire indigène Rio Gregório, État d’Acre, Brésil, 2016.
Bela Yawanawá avec une coiffe et le visage peint. Territoire indigène Rio Gregório, État d’Acre, Brésil, 2016. © Sebastião Salgado
Heart of the Dragon © Beth Moon
Heart of the Dragon © Beth Moon
Brent Stirton
© Brent Stirton

Une tragédie qui résonne avec la série de Maxime Riché. Le 8 novembre  2018, la ville de Paradise, située en Californie, s’est transformée en enfer. En moins de 4 heures, les maisons sont parties en cendres, ravagées par l’incendie le plus meurtrier de l’histoire des États-Unis : près de 90 victimes dans cette ville de 90 000 âmes. Dans un procédé qui rappelle évidemment les images de Richard Mosse, le photographe français s’est muni lui aussi d’une pellicule infrarouge couleur autrefois utilisée pour le repérage militaire aérien.

La forêt s’embrase d’un rouge vif, les collines baignent dans un jaune irrespirable. « J’ai voulu faire ressentir l’angoisse et la psychologie des personnes qui ont tout perdu en moins de 4 heures », explique Maxime Riché. En 2021, un autre méga feu en Californie – actif pendant trois mois et demi – a brûlé l’équivalent de trois fois la surface de San Francisco. Paradise a été épargnée, pour cette fois-ci. 

Le panneau portant le nom de la ville de Paradise à l’entrée de l’agglomération, sur Skyway road. En arrière plan, le nouveau panneau installé après l’incendie Camp Fire, indiquant la reconstruction de la ville. Cet incendie a ravagé 620 km2 de forêt, détruit 18 800 habitations pour un bilan humain de 85 morts, 3 blessés et 11 disparus. La population de la ville de Paradise, dans la Sierra Nevada, était estimée au moment de l'incendie à environ 26 000 habitants. © Maxime Riche
Le panneau portant le nom de la ville de Paradise à l’entrée de l’agglomération, sur Skyway road. En arrière plan, le nouveau panneau installé après l’incendie Camp Fire, indiquant la reconstruction de la ville. Cet incendie a ravagé 620 km2 de forêt, détruit 18 800 habitations pour un bilan humain de 85 morts, 3 blessés et 11 disparus. La population de la ville de Paradise, dans la Sierra Nevada, était estimée au moment de l’incendie à environ 26 000 habitants. © Maxime Riché

Pendant ce temps, l’Homme des villes ne cesse de se reproduire, inlassablement. Selon les Nations Unies, deux humains sur trois vivront dans une zone urbaine d’ici à 2050 et nous passerons à 43 villes de plus de 10 millions d’habitants, le double d’aujourd’hui. Grand ami du festival, voire ambassadeur, puisqu’il a aidé à la création de l’antenne autrichienne du festival, à Baden, Pascal Maitre a vu ces villes du monde se métamorphoser. « Je crois que c’est Kinshasa que j’ai vu s’étendre de la façon la plus impressionnante et la plus chaotique », décrit-il.

Photographe de la couleur et grand spécialiste de l’Afrique, le photojournaliste nous livre avec « Metropolis », dans une impressionnante scénographie, un panorama vertigineux de 12 grandes villes du globe : Kinshasa (14 millions d’habitants) en RDC, le Caire, en Égypte (plus de 22 millions), Norilsk à l’extrême nord de la Russie (183 000), La Rinconada, au Pérou, et ses 50 000 habitants perchés à plus de 5 000 mètres d’altitude… Comme ses confrères Cassio Vasconcellos et Luca Locatelli, Pascal Maitre expose les enjeux sociaux et environnementaux de cette urbanisation galopante et anarchique. 

Quartier populaire de Kimbanseke appelle Chine populaire car extrêmement peuplé, Kinshasa compte 15 Million d’habitant. © Pascal Maitre
Quartier populaire de Kimbanseke appelle Chine populaire car extrêmement peuplé, Kinshasa compte 15 Million d’habitant. © Pascal Maitre
Madagascar, 2016. À Antananarivo, dans le quartier populaire de Manarintsoa, sans éclairage public, un cuisinier vend ses plats dans la rue. La survie dans la capitale est extrêmement dure, c’est une des villes les plus pauvres au monde. © Pascal Maitre
Madagascar, 2016. À Antananarivo, dans le quartier populaire de Manarintsoa, sans éclairage public, un cuisinier vend ses plats dans la rue. La survie dans la capitale est extrêmement dure, c’est une des villes les plus pauvres au monde. © Pascal Maitre
© Cassio Vasconcellos
© Cassio Vasconcellos
© Luca Locatelli
© Luca Locatelli

Et nous dans tout ça ? Il faut se tourner vers l’œuvre des jumeaux américains Peter et David Turnley pour revenir sur un demi-siècle d’histoire humaine par l’image : deux grands Messieurs de la photo qui nous racontent dans leur grande sensibilité 50 ans de photographie, des guerres et grandes crises du XXe siècle à la légèreté d’un baiser sur les terrasses parisiennes.

David Turnley, « le plus parisien de tous les américains », comme le surnomme Cyril Drouhet, amoureux comme son frère de la capitale, est présent pour nous raconter un de ses premiers reportages. En 1978, près de Détroit, dans le Michigan, le jeune photographe fait la rencontre d’un couple de fermiers : Anna et Flander. Marqué par « cette harmonie entre l’Homme et la Terre », David Turnley passera 2 ans à côtoyer ce couple comme une seconde famille. « Je voulais comprendre comment deux personnes pouvaient s’aimer depuis 60 ans et comment tout leur travail dans leur ferme pouvait être autant baigné dans l’harmonie. » En ressort une série d’une tendresse infinie, dans les moments du quotidien, entre le travail, les repas, les sourires, la douceur discrète et la prière.

Anna et Flander Hamlin montent dans le grenier à foin de leur grange © David Turnley / Corbis/ VCG via Getty
Anna et Flander Hamlin montent dans le grenier à foin de leur grange © David Turnley / Corbis/ VCG via Getty Images

Coup de fraîcheur 

Pour son anniversaire, La Gacilly nous rappelle aussi que 20 ans, c’est l’âge des possibles, c’est oser sortir du cadre. Le festival s’est ainsi donné la respiration de plusieurs pas de côté audacieux et bien sentis. Des Ovnis sont même venus briser la sérénité du beau village ! Une idée de Sacha Goldberger, représenté par la Galerie XII de Valérie-Anne Giscard d’Estaing – qui expose aussi Vee Speers et son magnifique univers onirique et féminin -. Le photographe signe avec « Alien Love » une œuvre originale, drôle et profonde.

« Ce n’est pas de l’IA ! », prévient l’ancien directeur artistique. « 35 personnes ont participé à ce shooting réalisé à côté de Los Angeles dans un studio extérieur », détaille-t-il. Dans ces décors kitsch à souhait des années 50, où les extraterrestres lisent Playboy tranquillement installés dans le lit de Madame, le projet pose une question vitale : Que faisons-nous de notre planète ? Le petit extraterrestre se retrouve finalement bien seul sur cette Terre qu’il a détruit et rendue si inhospitalière.

© Sacha Goldberger
© Sacha Goldberger
© Sacha Goldberger
© Sacha Goldberger

Comme un coup de fraîcheur, le festival s’ouvre ainsi vers de nouvelles écritures. Aux côtés de l’univers féérique et pourtant bien réel d’Evgenia Arbugaeva, au fin fond de l’Arctique russe, se présente une très belle exposition de cette édition anniversaire : les étonnantes photos brodées de la photographe ivoirienne Joana Choumali et notamment sa série « Ca va aller », récompensée par le Prix Pictet en 2019.

« Le projet est né d’un besoin de m’exprimer après l’attaque terroriste de Grand-Bassam [NDLR. L’attentat de Grand-Bassam a eu lieu le 13 mars 2016 dans un quartier touristique de la station balnéaire ivoirienne de Grand-Bassam. Elle fit 19 morts] », raconte l’artiste. « Quand je suis retourné sur les lieux, j’ai senti à quel point cette ville chérie était devenue triste, à quel point elle était meurtrie. »

Joana Choumali commence alors à broder les photos prises sur son téléphone portable pour créer un monde imaginaire, entre rêve et réalité. « J’avais des problèmes de santé à ce moment-là, c’était une période assez difficile et ce travail m’a offert une autothérapie », confie la photographe qui présente une seconde série, « Alba’hian » (« la première lueur du jour », en agni, la langue du village de son père), dédiée à la contemplation des premières lueurs du jour.

Joana Choumali
© Joana Choumali

« Tu as beau être un bel évènement, tu restes fragile »

« Ça va aller » pourrait aussi être la devise du festival. Il y a six mois, Auguste Coudray, le président, tirait la sonnette d’alarme. Sur un budget d’1 million, en comptant les 20% de fonds publics, 60% de fonds privés – dont 40% par Yves Rocher – et le reste en fonds propres (les produits dérivés, les expos louées pour l’édition de Baden…), l’édition 2024 a en effet été menacée.

« J’ai vu qu’il allait me manquer 200 000 euros. Alors j’ai pris mon bâton de pèlerin et je suis allé voir les entreprises et les acteurs locaux. Comme beaucoup, le festival est en pleine tourmente de part l’inflation, les coûts qui explosent dans tous les domaines. J’ai fait appel à l’économie circulaire en disant aux gens “si vous voulez que cet événement continue, il faut le soutenir, il faut soigner la poule aux œufs d’or” », relate-t-il. 

Dans la région, la pluie est si dense qu’elle donne à cette montagne de la chaîne de l’Imeri des airs de volcan. Municipalité de São Gabriel da Cachoeira, Territoire indigène Yanomami. État d’Amazonas, Brésil, 2018. © Sebastião Salgado
Dans la région, la pluie est si dense qu’elle donne à cette montagne de la chaîne de l’Imeri des airs de volcan. Municipalité de São Gabriel da Cachoeira, Territoire indigène Yanomami. État d’Amazonas, Brésil, 2018. © Sebastião Salgado

La Gacilly affiche pourtant depuis plusieurs années des chiffres qui ne mentent pas. D’après une étude de 2017-2018, plus de 7 millions d’euros de chiffres d’affaires ont été générés sur le territoire lors de la période du festival. Chaque été, le festival accueille en effet 300 000 visiteurs – contre 3 ou 4 000 les premières années – et contribuerait à une centaine d’équivalent temps plein.

« Tu as beau être un bel évènement, tu restes fragile », rappelle, lucide, le président, dont le festival n’est pas le seul à souffrir de la crise actuelle. « Mais là où je suis confiant, c’est que les trois prochaines années sont assurées. Je crois en l’évènement et je ne peux pas me résigner à ce qu’il s’arrête ! »   

Festival photo de La Gacilly, du 1er juin au 1er octobre 2023, informations à retrouver sur le site du festival

© Vee Speers
© Vee Speers
© Vee Speers
© Vee Speers
Le grand cèdre rouge de l'Ouest de Gelli Aur, série Heart of the Dragon © Beth Moon
Le grand cèdre rouge de l’Ouest de Gelli Aur © Beth Moon

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