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Fiévreuse, intime et politique: la fête aujourd’hui

Fiévreuse, intime et politique: la fête aujourd’hui

Alors que la situation sanitaire a mis à mal le monde de la nuit, notre besoin de proximité et de lâcher prise sur le dancefloor se fait encore plus grand. De Lagos à Montréal, en passant par Saõ Paulo et Berlin, quatre photographes nous racontent leur rapport à la fête et pourquoi ils la photographient.
© Vincent Catala

Chroniquer la vie nocturne et la fête n’est pas uniquement un travail de nuit. C’est un genre de photo difficile à classer, tant il y a de manières de faire la fête et de la photographier. C’est un genre de photo qui raconte forcément quelque chose de notre époque. On sait à quel point les clichés des folles soirées du Studio 54 à New York par exemple, ont marqué l’imaginaire collectif et nous permettent de toucher du doigt l’atmosphère de la fin des années 1970. Un âge flamboyant, où tout paraissait possible. Des soirées underground à Saõ Paulo aux fastueux mariages de Lagos, on n’a pas tout à fait la même attitude, la même façon de danser, de parler.

Comment capter alors les moments de lâcher prise et de vérité derrière nos personnages sociaux, parfois exacerbés en contexte de soirées ? Et que faire ensuite de ces clichés, un témoignage documentant le réel, ou le support d’un récit ? De simples portraits en after à Berlin, comme ceux de la photographe Sabrina Jeblaoui, racontent à la fois le plaisir de faire une nuit blanche, l’importance d’avoir un style, et la transformation de subcultures en cultures mainstream. Mettre en avant des personnalités transgenres dans les fêtes brésiliennes, comme les documente Vincent Catala, c’est combattre directement le pouvoir conservateur en place.

Parce qu’ils la font autant qu’ils la photographient, ces quatres photographes de la nuit – et du jour – nous livrent des images sublimes de la fête, pulsion de vie qui prend parfois un chemin introspectif.

© Sabrina Jeblaoui

Vincent Catala, la fête comme combat politique

© Vincent Catala

Jair Bolsonaro vient d’être élu lorsque Télérama commande à Vincent Catala un photo-reportage sur la scène underground de São Paulo, « comme possible pôle de résistance » au président d’extrême droite. On est en 2019. Basé à Rio, le photographe vient alors d’achever un travail long et complexe sur le territoire. Il part pour la capitale, sans savoir que la communauté transgenre qu’il va rencontrer en soirée l’y fera rester pour de bon : « je décide d’en faire le sujet de ma recherche, je quitte Rio pour m’installer à São Paulo ».

De ses virées jusqu’au petit jour, il retient que « si résistance il y a, elle est davantage le fait des artistes invités que du public. Parmi ces artistes, on trouve des personnes issues de la communauté transgenre, qui peuvent ainsi se produire, et donc gagner un cachet ». Au milieu de la foule surchauffée ou en équilibre sur d’immenses enceintes, éclairé par les néons ou l’âpre lumière du matin, l’artiste capte des moments de grâce. Et la sublime essence de ces soirées nimbées de techno. Des oasis d’expression libre et de fluidité, dans un pays qui a pour leader un homophobe assumé.

© Vincent Catala

« Les brésiliens sont plus sensibles aux énergies que les occidentaux. Dans ces fêtes, il y a de tout, des gens avec de très bonnes énergies, et d’autres non. On m’a conseillé de placer un sparadrap ou du coton sur mon nombril, afin de protéger mon chakra ombilical. C’est ce que j’ai fini par faire, avec un succès relatif », raconte le photographe, qui suite à un shooting a aussi perdu l’ouïe toute une journée… Les risques du métier.

Plus d’informations sur Vincent Catala sur son site et son Instagram.

Karel Chladek, délicatesse et abandon

© Karel Chladek

Depuis ses 18 ans, Karel Chladek se mêle à la foule des clubs montréalais à la recherche d’instants où les corps et les cœurs sont à l’abandon. Ses clichés vaporeux de romances anonymes, transpirant sur le dancefloor ou dans les interstices de la soirée font jaillir quelque chose de propre à la fête, une « intimité publique » (c’est le titre de son livre). Et une « obsession pour le contraste entre le quotidien des gens et leur vie nocturne », comme il le confie.

Chaque photographie ressemble à un extrait de film, tant les éclairages viennent doucement  caresser chaque personnage et leur donner une aura à la fois sensuelle et pudique. Un subtil travail de la lumière, qui peut être complexe dans un contexte où les néons et les stroboscopes – tout comme les sujets – sont imprévisibles. Le jeune photographe a mis des années à le peaufiner et en a fait sa signature.

© Karel Chladek

« Je voulais me différencier de la photographie de soirée traditionnelle. L’idée est de créer une histoire imaginaire à partir des photos que je prends, je laisse au spectateur le soin de l’interpréter comme il veut. Il peut y voir une histoire d’amour romantique ou encore un moment dont personne ne se rappellera », ajoute l’artiste, qui fait aussi carrière dans la techno au sein du duo Haffenfold.

Plus d’informations sur Karel Chladek sur son site et son Instagram.

Andrew Esiebo, work hard play hard

© Andrew Esiebo

« Moi j’adore faire la fête mais je ne bois pas, je n’ai pas besoin d’alcool pour être dans un bon mood, j’ai juste besoin de bonne musique… Donc je suis vraiment conscient du pouvoir des DJ (…) ils ont un immense impact », explique le photojournaliste nigérian Andrew Esiebo. Avec son vibrant projet Highlife, il explore les fêtes de rues, les boîtes de nuit, les soirées underground ou les grands mariages de Lagos.

« Je voulais mettre en lumière la vie nocturne de Lagos car elle ne fait pas partie des récits habituels. Quand on parle de Lagos, on parle du crime, des dysfonctionnements de l’État… Quant aux choses positives, elles concernent en général le business ou le cinéma », commente-t-il. Ce que les gens consomment, comment ils s’habillent, comment ils dansent, les décors sont autant de sujets pour le photographe. Et la manière dont la musique conduit à l’extase collective.

© Andrew Esiebo
© Andrew Esiebo

L’énergie pure qui se dégage de ses clichés, on la doit peut-être au fait que ces foules rassemblent toutes classes sociales. Particulièrement lors des street parties, qu’Andrew Esiebo prend le plus de plaisir à photographier. « Lagos est une ville au rythme effréné, c’est une ville dure pour ses habitants. “Highlife” montre leur résilience, leur folle envie de faire la fête. A Lagos, on travaille intensément et on fait intensément la fête ! »

Plus d’informations sur Andrew Esiebo sur son site et son Instagram.

Sabrina Jeblaoui, les oiseaux de jour de la nuit berlinoise

© Sabrina Jeblaoui

« J’ai été dans les deux extrêmes : faire la fête tout le temps pendant des mois et ne plus faire la fête du tout pendant 2 ans. Aujourd’hui j’essaie de trouver un équilibre », résume la jeune photographe Sabrina Jeblaoui sur son rapport à la fête, qui lui a inspiré une série photographique. Un projet très remarqué, Nacht Clubs Berlin, qui documente les sorties de clubs techno.

Il est 10h du matin devant le Berghain, le Tresor, le Sisyphos. Pour certain.e.s, c’est l’heure de rentrer ou de poursuivre en after, lunettes de soleil sur le nez. Un look book des personnes les plus stylées – ou les plus rayonnantes – après des heures voire des jours de fête ? Pas seulement si l’on en croit l’artiste, « je voulais montrer que la culture “underground” avait bien évolué et qu’elle était aussi devenue mainstream : à cause de la mode s’appropriant ses codes, les réseaux sociaux, l’usage banal des drogues, etc… ». Elle s’est aussi rapidement servi du succès du compte instagram de la série pour faire de la prévention sur les risques du GHB, partager les expériences, bonnes ou mauvaises, de la fête à Berlin.

© Sabrina Jeblaoui

Ces portraits spontanés en argentique datent pour la plupart d’avant la pandémie. « C’est le souvenir des fêtes avant la crise du covid, le souvenir de mes premières années à Berlin. J’ai tellement de gratitude envers ces personnes qui ont accepté de se faire prendre en photo, souvent dans des états vulnérables », conclut la photographe, en préparation d’un nouveau projet au Mexique.

Plus d’informations sur Sabrina Jeblaoui sur son site and Instagram.

Par Charlotte Jean

Charlotte Jean est journaliste et auteure. Ancienne collaboratrice de Beaux Arts Magazine et fondatrice de Darwin Nutrition, elle est diplômée de l’Ecole du Louvre et spécialisée en art contemporain.

© Vincent Catala
© Sabrina Jeblaoui
© Andrew Esiebo
© Vincent Catala
© Karel Chladek

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