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Arno Brignon, baroude intime

Le photographe Arno Brignon s’est lancé pendant plusieurs années dans un road trip à l’américaine à la rencontre des villes des Etats-Unis portant le nom de capitales européennes. Un projet réalisé en argentique et en famille.

[Article à apprécier en musique]

Sur la route. Lignes blanches à perte de vue sur fond montagneux. Au loin dans la brume, une voiture – l’Américaine parfaite aux courbes familières – perfore l’image dans un noir et blanc coriace. Voilà le road trip façon États-Unis. Cette photo pourrait être celle de Robert Frank ou d’Elliott Erwitt… Elle appartient à notre univers collectif, à notre vision de ces grandes étendues et de sa mythologie.

Arno Brignon n’est pas le premier ni le dernier à se perdre sur les routes interminables nord américaines. De 2018 à 2022, il s’est rendu dans douze villes éponymes des capitales européennes. Un voyage pensé en solitaire qui se fera finalement en famille. L’exposition « US », présentée à la galerie du Château d’Eau de Toulouse, raconte un voyage initiatique, intime et documentaire au cœur des Etats-Unis et de son imaginaire, une réflexion intérieure sur le métier de photographe et la vie de famille.

Old friend

Amsterdam, Copenhagen, Berlin, Lisbon, Paris, Athens, Brussels… Toutes ces capitales européennes ont leur petite sœur outre-Atlantique. Filiation historique entre le pays à la bannière étoilée et le vieux continent. En visitant ces villes éponymes, la plupart situées à l’Est des Etats-Unis, Arno Brignon s’est lancé dans ce road trip comme on va voir un vieil ami qu’on n’a pas vu depuis des années.

© Arno Brignon / Signatures
© Arno Brignon / Signatures

Le photographe s’est enfoncé dans les tréfonds d’une Amérique que l’on n’entend pas, où Madrid est un village de 300 âmes, « perdu au fond d’un canyon », où la Lisbon du Maine n’est pas celle de la Floride. Par ce tracé symbolique, nous saisissons le pouls d’une « société post-démocratique, au moment où populisme et technocratie semblent s’affronter un peu partout en Occident » et nous voilà en face de ce pays que l’on connait sans vraiment connaître, « né des colons venus d’Europe après en avoir chassé les autochtones ». Les Etats-Unis ont sur l’Europe cet effet miroir prémonitoire, avec 10 ans d’avance, pour le meilleur comme pour le pire. Regarder ce voisin, « c’est nous regarder aussi, tant nos liens sont forts », appuie Arno Brignon qui explique que la naissance du projet provient de l’élection de Donald Trump en 2017, « un choc ».

Brignon a voulu comprendre, aller au cœur de ce qui fait l’électorat trumpiste, découvrir l’héritage européen, ressentir ce « territoire qui ne se parle plus » où chacun choisit son camp et ne va plus vers l’autre. Dresser un pont entre Europe et Etats-Unis c’est saisir l’influence de cette élection sur le vieux continent et la montée des populismes. Les circonstances de ce voyage lui apporteront des réponses, pas forcément celles attendues.

Territoire de photographie

S’attaquer aux Etats-Unis par l’image c’est faire face « à la figure paternelle de la photographie ». On n’échappe pas à l’histoire de la photo sur ces routes interminables, dans ces motels aux enseignes rouillées, devant ces paysages, ces villages et ces gueules. A chaque coin de route pointe un Robert Frank, une Dorothea Lange, les mots de Kerouac, les plans de Sergio Leone, la voix de Johnny Cash… Arno Brignon ne s’en cache, son travail est un hommage à cet héritage. Ses clichés évoquent la locomotive fumante d’un Erwitt, des plans de Wim Wenders, les écrits de Jack London, les couleurs d’un Steve McCurry, les années américaines d’un Bernard Plossu

A chaque virée, Arno Brignon utilise des films argentiques périmés. « Il se passe des choses étranges, des problèmes de chromie apparaissent, ces accidents font partie du projet », explique le photographe qui se verra même offrir par la mannequin et photographe Sarah Moon d’anciennes pellicules de studio 800 iso, donnant une dominante orange à consonance western. Ces imperfections grésillent comme un titre de Patti Smith dans l’autoradio.

Lisbon dans l'état du Maine, Aout 2018. © Arno Brignon / Signatures
Lisbon dans l’état du Maine, Août 2018. © Arno Brignon / Signatures

« La famille est venue percuter ce projet »

Comme la chromie accidentée des pellicules périmées, la véritable âme de ce projet est née d’un imprévu, ou plutôt de deux. Pour préserver l’unité de sa famille abimée par ses absences longues et répétées, Arno Brignon n’a pas eu le choix, ce projet s’est fait, non pas en solo, mais à trois, avec sa femme Caroline et sa fille Joséphine. « Sinon je finissais seul », ironise-t-il.

Photographe est un travail de solitaire. On ressent, on rencontre, on baroude en ne se souciant que de soi-même et de son déclencheur. « La famille est venue percuter ce projet. Il a fallu apprendre à regarder et voir à plusieurs », reconnaît le photographe. « Ça change tout à la question du photographe, aux rencontres, c’était quelque part ma propre déconstruction du photographe voyageur. »

« Le sujet n’est pas dehors, mais en moi. Le sujet est nous »

© Arno Brignon / Signatures
© Arno Brignon / Signatures
Brussel dans l'Etat du Wisconsin, juillet 2022. © Arno Brignon / Signatures
Brussel dans l’Etat du Wisconsin, juillet 2022. © Arno Brignon / Signatures
© Arno Brignon / Signatures
© Arno Brignon / Signatures

Pendant quatre ans, la petite équipe va enchaîner plusieurs voyages, faire des concessions sur le tracé initialement prévu, un détour à New York et à Chicago, avant de s’enfoncer dans les plaines infinies et monotones de l’Est des Etats-Unis. Voilà que l’intime se dilue dans le documentaire. Allongée près de la fenêtre, la tête appuyée sur sa main, Joséphine fixe l’objectif. Derrière le rideau flotte discrètement le Stars and Stripes. La famille bouscule les perspectives, le projet initial est au second plan, nous voilà dans un voyage intérieur, où ce territoire est aussi pour le photographe celui de l’absence, celle d’un père informaticien longtemps en poste de l’autre côté de l’Atlantique.

Comme la route présente en fil rouge, à l’image d’une longue planche-contact, le projet « US » trace l’itinéraire d’une histoire de famille, d’un voyage introspectif inattendu. « La présence de ma famille a été salvateur pour le projet, j’ai fait des rencontres que je n’aurais pas faites sans elles », reconnaît Arno Brignon. La question du déplacement est remise en cause, comme celle de l’image d’Épinal du photographe baroudeur et solitaire. Ce voyage est finalement intime et familial. « Ces villes de l’intérieur, banales, intimes, fragiles, menacées par le vide et la disparition, ne sont finalement qu’une métaphore. Le sujet n’est pas dehors, mais en moi. Le sujet est nous. »

« Us », Arno Brignon, galerie Le Chateau d’Eau, Toulouse, jusqu’au 14 avril 2024. / « Rien à perdre », Philémon Barbier, 2nde galerie, Le Chateau d’Eau, Toulouse, jusqu’au 14 avril 2024.

Copenhague dans l'état de New York, Juillet 2018 © Arno Brignon / Signatures
Copenhague dans l’état de New York, Juillet 2018. © Arno Brignon / Signatures

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