Peu d’entre nous connaissent Death, un groupe musical noir de Detroit. C’est pourtant l’un des premiers sur la scène punk. Il a ainsi contribué à forger le son d’un style radical, dont le succès ne s’est jamais démenti. Le rock punk est aussi une musique qui puise ses racines dans la culture noire et latino, et l’apport de celles-ci a été négligé voire effacé. En témoignent des artistes tels que Bad Brains, Alice Bag et Vaginal Davis, qui ont joué un rôle essentiel en créant un espace d’expression pour des communautés de couleurs dans un milieu prédominé par les Blancs.
Depuis cinquante ans, le punk pulvérise toutes les limites, traversant quatre générations d’une jeunesse mécontente. Destiny Mata, photographe américaine d’origine mexicaine, surnommée « La Photographe du Peuple », en est une ambassadrice. Elle a assisté à son premier concert organisé par Punx of Color dans un sous-sol de Brooklyn. Et se souvient de l’émotion ressentie en étant entourée de musiciens noirs et métis, qu’elle décrit comme « l’avant-garde des laissés-pour-compte » dans son premier livre, The Way We Were (Culture Crush Editions).
« Dès cette première soirée, j’ai eu envie de la prochaine ! » écrit-elle dans l’introduction de l’ouvrage. « J’ai rencontré des gens extraordinaires, artistes, militants et organisateurs communautaires. Ils ne se contentaient pas de monter un spectacle : ils levaient des fonds pour des associations qui se battaient pour les travailleurs migrants sans papiers et victimes de trafics, et luttaient contre la gentrification, tout en soutenant des causes autour de l’autisme (Color of Autism Foundation) ou de la faim (Feed the People/Bronx), toutes soutenant leurs propres communautés. En d’autres termes, ce soir-là, il ne s’agissait pas que de musique, loin de là. »
Au nom des différences
A partir de l’année 2014, jusqu’au confinement de New York en mars 2020, Destiny Mata s’est ainsi attachée à rendre compte de cette scène vibrante et éphémère. Avec ses reportages photographiques autour des collectifs tels que Silent Barn, Hydropunk, No Flowers for YT Powers, Club A ou Corpus, elle a sillonné les cinq boroughs de la ville en passant par des lieux emblématiques dont Punk Island à Staten Island, Club Anarchy à Brooklyn et La Jungla, un sous-sol du Bronx.
Ses photographies capturent l’esprit du punk, ce mélange de révolte, d’autodétermination, d’expression créative et de pure angoisse, qui fait toute la force et la puissance de l’adolescence. « C’est quand je suis dans la fosse que je me sens la plus forte, parce que là, on peut prendre de l’espace, et pousser les gens autour de soi », raconte dans le livre l’auteure Melissa Maya, une autre adepte du mouvement raconte. « On ressent la musique et on la laisse s’emparer de nous. On n’a pas à s’excuser. Être dans la fosse ensemble, c’est être en famille. »
Aujourd’hui, certaines de ces scènes ont fermé, pour diverses raisons. Cependant, l’esprit du punk perdure et survit, grâce aux êtres dont les voix sont rassemblées notamment par les photographies de Destiny Mata. « Beaucoup de salles ont disparu, mais le plus important, c’était l’esprit et l’énergie derrière tout ça », raconte le musicien Nachi Conde-Farley. « Les gens ont vraiment besoin de ces lieux. Ce n’est pas parce que le business l’exige, c’est parce que les marginaux ont besoin d’espaces marginaux. Ils se rassemblent et survivent grâce à cette communauté. Tant que les gens auront faim, ces espaces se créeront d’eux-mêmes. »
Tant qu’il y aura un establishment, il y aura toujours une force révolutionnaire, un peuple qui s’unit pour s’opposer à certaines mesures prises par le pouvoir et exiger ses droits fondamentaux. Ainsi se définit aussi ce courant culturel et social. Malgré sa popularité et l’engouement qu’il suscite, le punk ne sera jamais acheté ou assimilé.
Chanteuse du groupe Ratas en Zelo et dessinatrice, Yadee Araniva s’exclame : « Il s’agit de se responsabiliser et de prendre son envol, d’avoir conscience de nos problèmes en tant que société, tout en sachant que nous avons le pouvoir et que nous ne sommes pas des victimes. Haut les cœurs, à bas la peur ! Il faut faire ce qu’on aime. »
Par Miss Rosen
Miss Rosen est une journaliste basée à New York. Elle écrit sur l’art, la photographie et la culture. Son travail a été publié dans des livres, des magazines, notamment Time, Vogue, Aperture, et Vice.
The Way We Were, par Destiny Mata. Publié par Culture Crush Editions, 50$. Disponible ici.