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Ce que la jeunesse thaïlandaise a à dire

Photographe de rue, adepte de collages bruts ou de photo documentaire, trois jeunes thaïlandais.e.s dévoilent à travers leur travail une vision de leur pays et de ses mutations.

En 2018, #DontTellMeHowToDress émerge comme l’héritier thaïlandais de #metoo. À ceci près qu’il s’adresse directement au gouvernement. Suite aux recommandations faites aux femmes de ne pas s’habiller légèrement lors du nouvel an bouddhique afin d’éviter les agressions sexuelles. Un hashtag qui en dit long sur la place de la femme dans la société thaï, la culpabilisation des victimes, le poids des traditions et de la religion. 

« Dans le passé, quand l’Asie du Sud-est croyait en l’animisme, les femmes avaient plus de pouvoir que les hommes. Ce sont le Brahmanisme et le Bouddhisme qui ont commencé à discréditer les femmes », explique la jeune photographe Kamonlak Sukchai, qui déconstruit les contes folkloriques traditionnels thaïlandais et les stéréotypes qu’ils véhiculent sur le genre féminin.

Kamonlak Sukchai
RedLotus, Pacha © Kamonlak Sukchai

Mais ces deux dernières années, la plupart des articles sur la Thaïlande parlent de la manière dont la jeunesse s’empare de la question de la démocratie dans le pays. Des voix s’élèvent pour critiquer l’autorité du premier ministre, et réformer la monarchie. Depuis 2020, les manifestations pro-démocratie viennent se joindre au tumulte rugissant de l’immense capitale thaïlandaise, dans un pays où critiquer le roi est un crime de lèse-majesté passible de prison.

C’est dans la rue que les contestations grandissent. Et les trottoirs et chaussées tout aussi encombrés de Bangkok sont devenus le territoire d’une nouvelle génération de photographes de rue. « Ces trois, quatre dernières années, la “street photography” est devenue une expression populaire en Thaïlande », explique le photographe Angkul Sungthong, curateur du compte instagram Street Photo Thailand. « La plupart des gens qualifient leurs photos ainsi, mais peu ont réellement étudié ses principes. Heureusement, nous avons une forte communauté de photographes sérieux, qui essaie de donner des conseils et partager son savoir. »

Les trois photographes émergent.e.s que Blind a sélectionné.e.s dressent à leur manière un portrait de la société thaïlandaise, nous racontent leur pays autrement, entre dérive urbaine, sociologie et déconstruction des stéréotypes de genre.  

 

 

Bearly Warun Siriprachai, la sociologie sous les néons rose

Bearly
© Bearly
Bearly
© Bearly
Bearly
© Bearly

Issue de la photographie de rue, la jeune Bearly Warun Siriprachai lui préfère aujourd’hui une démarche plus sociologique, proche du documentaire. Avec la série « Sex Workers », elle choisit de mettre en lumière une population vulnérable, les travailleur.euse.s du sexe à Bangkok. « J’ai commencé à prendre des photos pour communiquer sur ces problématiques sociales. Je me suis dit qu’elles parleraient pour ceux qui ne le peuvent pas. Je veux aider à résoudre ces tensions avec mes images, aider la société autant que possible », confie-t-elle. 

Une femme âgée, un jeune homme, des personnes trans et leurs clients ont laissé Bearly Warun Siriprachai passer la porte de leurs nuits. « Des citoyens de 2nde classe », autant confrontés aux dangers de leur profession qu’au mépris de la société. Les étreintes dans les lumières bleu et rose, la solitude, la misère, mais aussi la tendresse et la complicité jaillissent alternativement des clichés. 

Bearly
© Bearly

En Thaïlande, bien qu’officiellement réprimée, la prostitution est tolérée. Et concerne selon les organisations locales plus de 200 000 personnes, qui faute de législation peinent à faire valoir leurs droits et accéder à des soins. Pour la photographe, exposer leur quotidien, c’est lutter contre leur déshumanisation. L’une des personnes photographiées lui a un jour confié: « Tant que quelqu’un s’intéresse encore à nous, il y a de l’espoir. » 

En savoir plus sur Bearly Warun Siriprachai sur son site web et son Instagram.

Kamonlak Sukchai, la déconstruction du folklore 

Kamonlak Sukchai
RedLotus, Stade de l’abducteur © Kamonlak Sukchai

« Quand j’étais petite, je me levais tôt tous les week-ends pour regarder les feuilletons traditionnels thaï à la TV. Les costumes, les décors, tout était vintage. Parfois, je revêtais ce type de costume et me baladais dans la maison », raconte Kamonlak Sukchai, née en 1994 à Ratchaburi, près de la frontière avec le Myanmar. 

En grandissant, la photographe passe de la rêverie à l’analyse. Et se rend compte à quel point les contes folkloriques thaï, revisités de manière contemporaine au cinéma ou à la TV, modèlent et influencent la société. Au même titre que le bouddhisme, qui incorpore aussi ces récits traditionnels. Jusqu’à constituer une forme de « propagande », qui participe à l’oppression des femmes. 

Kamonlak Sukchai
RedLotus, Fantasmes sexuels © Kamonlak Sukchai
Kamonlak Sukchai
RedLotus, Lotus rouge © Kamonlak Sukchai

Elle explique : « Les croyances dans les récits traditionnels affectent directement l’idéal de la femme dans la société thaï moderne ». C’est-à-dire comment être une « femme bien », surtout en matière de sexualité et de féminité. 

Dans la série « Red Lotus » (Kamonlak, son prénom, signifie « lotus » en thaï), elle explore cet imaginaire folklorique, qui a bercé son enfance en même temps que conditionné sa construction en tant que femme. Des collages très puissants, saturés de photos brutes, de références religieuses et de fables, où une jeune fille est prise au piège du patriarcat et des traditions, sexualisée et comme dépossédée de son corps. À l’ombre d’une forêt surnaturelle, dans les eaux mauves d’un lac où « se dissolvent les règles et les normes sociales », l’héroïne renaît sous les traits d’un lotus sacré. Une manière pour Kamonlak Sukchai de conjurer métaphoriquement le poids de sa condition. 

En savoir plus sur Kamonlak Sukchai sur son Instagram.

Angkul Sungthong, la streetphotographie de l’étrange

Angkul Sungthong
© Angkul Sungthong
Angkul Sungthong
© Angkul Sungthong

Portraits de passants ou d’immeubles dans le reflet d’un rétroviseur, pieds qui dépassent de sous un bus, harmonies de couleurs entre les habitants, la signalétique et l’architecture révèlent la fascination et parfois la perplexité du photographe Angkul Sungthong à l’égard de sa ville. « Je suis né et j’ai grandi à Bangkok. Bangkok est mon amie, ma cousine, un visage familier. Mais nous ne sommes pas des amis proches. Il y a des choses que je ne comprends pas chez elle. »

Fasciné par la géométrie, les reflets, les jeux d’ombres et de couleurs de la capitale thaïlandaise, le photographe a fait des scènes de rue que le hasard porte devant son objectif, son sujet de prédilection en même temps que son inspiration. « J’ai toujours mon appareil photo avec moi. Au début, cette habitude questionnait mes proches. Je cours parfois dans la direction opposée de celle de mes amis lorsque je vois une composition ou une situation intéressante », explique ce membre du collectif Street Photo Thailand. 

Angkul Sungthong
© Angkul Sungthong

Par ailleurs directeur artistique dans une agence de publicité, l’appareil photo représente pour lui « un outil de travail pour visualiser son imaginaire ». Il y voit aussi un moyen de s’échapper du bureau justement, et de la routine du travail, en se plongeant dans un état de l’ordre de la méditation. « C’est un endroit où je peux m’entraîner à libérer mon esprit. » On comprend être dans l’instant présent. 

Ses clichés s’accumulent comme des fragments mystérieux et étranges de Bangkok: « La plupart de mes photos ne révèlent pas où elles ont été prises, et mettent sous scellé la vérité d’une situation particulière. »

En savoir plus sur Angkul Sungthong sur son Instagram.

Angkul Sungthong
© Angkul Sungthong
Bearly
© Bearly
Kamonlak Sukchai
RedLotus, la naissance © Kamonlak Sukchai

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