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Au coeur des manifestations de Hong Kong en 2019

Au coeur des manifestations de Hong Kong en 2019

Au sein des cortèges en 2019, Cheng Wai Hok, Lam Yik et Alex Chan Tsz Yuk ont immortalisé les événements qui ont secoué Hong Kong. Alors que la loi sur la sécurité nationale a tout juste un an et que la liberté de la presse est mise à mal, les trois photojournalistes évoquent les manifestations de 2019 et nous disent à quoi ressemble la vie dans la ville aujourd’hui.
Des manifestants lors d’une protestation pour demander aux dirigeants de Hong Kong le retrait de la loi d’extradition à Hong Kong, 16 juin 2019 © Lam Yik

« Je me souviens d’une fois à Wan Chai, la police a commencé à courser et à arrêter des manifestants. Une jeune femme paniquée est restée debout sous le porche d’un immeuble. Elle n’avait rien fait et n’avait rien dans les mains. Deux ou trois officiers de police des Forces spéciales se sont précipités sur elle, l’ont plaquée au sol, traînée hors du bâtiment et frappée avec une matraque. J’étais en train de la filmer à ce moment-là, je l’ai regardée à travers la caméra, et elle m’a aussi fixé en criant “Aidez-moi !”.» 

Le photojournaliste Lam Yik se remémore cette scène lors d’une des manifestations qui ont éclaté à Hong Kong en 2019. Elles ont débuté avec la proposition du gouvernement hongkongais d’une nouvelle loi d’extradition de la ville. Cette loi devait permettre au chef de l’exécutif de Hong Kong, d’extrader – à sa discrétion – des suspects vers la Chine continentale pour qu’ils y soient jugés.

Alex Chan, 10 mai 2020 © Alex Chan
Alex Chan, 10 mai 2020 © Alex Chan

Lors des grandes manifestations pacifiques, on a compté plus d’un million de participants. Mais le 12 juin, les événements ont pris une tournure plus sombre et inquiétante lorsque la police a commencé à utiliser des gaz lacrymogènes et des balles en caoutchouc pour disperser les protestataires.

« Au début, je pensais que ce serait aussi “ordinaire” que pour les autres mouvements citoyens mais le 12 juin 2019, changement d’ambiance, quand les forces de l’ordre ont utilisé des balles en caoutchouc aux abords de l’avenue Tim Wa (le secteur de l’Amirauté de l’île de Hong Kong) », raconte Lam Yik. Dès lors, l’utilisation de gaz lacrymogènes, de balles en caoutchouc et de matraques est devenue la norme dans une ville autrefois reconnue pour avoir l’une des meilleures forces de police d’Asie.

Un protestant avec un masque de Guy Fawkes durant une protestation à Hong Kong, 8 décembre 2021 © Lam Yik
La police anti-émeute tire des gaz lacrymogènes sur la manifestation, après une attaque de plus de 100 hommes en tenue blanche avec des tuyaux et des perches dans la gare de Yuen Long, le 21 juillet 2019, à Hong Kong, le 27 juillet 2021 © Lam Yik

Ce sont ces manifestations qui ont poussé Alex Chan à devenir photojournaliste : « Avant les événements de 2019, j’étais étudiant en informatique. Pendant les mouvements de protestation, j’ai changé de cursus pour devenir journaliste, car je me suis senti investi d’une responsabilité : celle de raconter l’histoire de ces gens et d’utiliser mes photos pour qu’on ne les oublie pas. »

Certains des affrontements les plus dramatiques entre militants et forces de l’ordre ont eu lieu lors du siège de l’université Polytechnique de Hong Kong. La police a encerclé la fac, piégeant les manifestants à l’intérieur. Le face-à-face fut violent, presque médiéval, et à la fin plus de 1000 contestataires furent arrêtés. Jo Cheng se souvient de la fin du siège : « Les manifestants, pour la plupart des étudiants, ont désespérément tenté de s’échapper… en vain. »

Des manifestants se protègent avec des boucliers de fortune en bois, après une attaque de plus de 100 hommes en blanc avec des tuyaux et des poteaux dans la gare de Yuen Long le 21 juillet 2019 à Hong Kong, 27 juillet 2021 © Lam Yik
Cheng Wai Hok, Siège de l’Université Polytechnique de Hong Kong, PolyU (08:16 / 18 novembre, 2019) © Cheng Wai Hok

Alex Chan a également des souvenirs vivaces de cet événement: « Je ne peux pas oublier l’ambiance déprimante qui régnait lorsque étudiants et manifestants sont restés piégés des jours, affamés, essayant de s’échapper par tous les moyens. Lorsque, pour sortir, je me dirigeais vers le check-point de la police, je devais lever les deux mains en l’air, un pistolet pointé sur ma tête. »

Alors que les manifestations se poursuivaient et que la violence s’intensifiait, une autre tendance inquiétante est apparue : la police s’en est prise non seulement aux militants, mais aussi à la presse. La liberté de la presse est inscrite dans la Loi fondamentale de Hong Kong (Hong Kong Basic Law). Cet ensemble de lois forme la constitution de Hong Kong et protège le principe d’« un pays, deux systèmes », donnant à la ville plus de libertés qu’en Chine continentale.

31 août 2019, Hong Kong, Chine : un manifestant lance un cocktail Molotov vers une barricade de police durant une manifestation formée autour des quartiers généraux du gouvernement. Plus tard ce jour là, à 20h31, la gare du Prince Edward est attaquée​​​ © Alex Chan
12 novembre 2019, l’université chinoise de Hong Kong, Hong Kong: la police et les manifestants s’affrontent durant 4 heures au pont n°2, l’entrée du campus de l’université. Ce jour vit l’un des affrontements les plus violents de 2019 © Alex Chan

Les méthodes policières sont alors devenues un moyen d’intimidation pour faire taire ceux qui relataient les événements. Ainsi, ces méthodes se sont transformées en moyen pour saper la Loi fondamentale et tenter de museler la presse. Lam Yik raconte : « Alors que l’agitation sociale s’intensifiait, les forces de police ont commencé à s’en prendre à la presse, notamment en procédant à des interpellations et à des fouilles, proférant des menaces ou même visant les journalistes avec leurs armes. »

Elle poursuit en racontant que la police lui a tiré dessus avec des balles au poivre : « Ce jour-là, j’étais d’astreinte avec une journaliste qui portait un gilet jaune siglé « reporter », et j’avais ma carte de presse. La police a commencé à courir et à arrêter les manifestants à Yau Ma Tei. Ils ont plaqué trois filles au sol. Ma consœur et moi avons couru et, tout à coup, la police a tiré une balle au poivre qui a touché une fille. Quand j’ai regardé les policiers, ils ont pointé leur arme sur nous. Nous avons levé nos mains en l’air et crié : « nous sommes journalistes, s’il vous plaît, ne tirez pas ! ». Ils ont ouvert le feu. »

3 août 2019, Wong Tai Sin, Hong Kong: un journaliste est menacé et se retrouve ébloui par les projecteurs devant la ligne de défense de la police © Alex Chan
21 juillet 2019, Sheung Wan, Hong Kong: la police a libéré de nombreux gaz lacrymogènes contre les manifestants et les journalistes à Sheung Wan. Plus tôt ce jour là, une manifestation contre le bureau de liaison du gouvernement central du peuple avait été organisée et l’emblème national a été peint en noir par les manifestants à l’aide de paintball © Alex Chan

Alex Chan a vécu le même genre d’expérience. « J’ai été arrêté le 1er octobre 2019, la police m’accusait d’utiliser une « fausse » carte de presse, et j’ai été détenu 40 heures. J’ai goûté aux gaz poivré et lacrymogène tout au long des manifestations de 2019-2020. Je faisais partie des journalistes présents lorsque plusieurs policiers nous ont forcés à nous mettre à genoux et gazés au poivre le 5 mai 2020 à Mongkok. »

Le recours à la violence contre les reporters en 2019 n’a pas marqué la fin des assauts contre la liberté de la presse dans la ville. Cette question est devenue beaucoup plus périlleuse lorsque la nouvelle loi sur la sécurité nationale de Hong Kong est entrée en vigueur le 30 juin 2020. Promulguée par le gouvernement de Pékin sans l’avis de celui de Hong Kong, cette loi pénalise tout acte considéré comme de la sécession, de la subversion, du terrorisme ou de la collusion avec des forces étrangères, et prévoit des peines allant jusqu’à la prison à vie.

Cheng Wai Hok, En se rendant aux bureaux du gouvernement central, Amirauté (18:02/ 31 août, 2019) © Cheng Wai Hok
Cheng Wai Hok, 929 Rassemblement mondial contre le totalitarisme HK, Amirauté (17:29/ 29 septembre, 2019) © Cheng Wai Hok

Selon l’organisation Reporters sans frontières, dix journalistes sont actuellement incarcérés à Hong Kong pour l’avoir enfreinte.

Cette loi a également été utilisée pour s’en prendre aux médias de Hong Kong. La radio RTHK a fait l’objet d’un audit drastique et a supprimé les programmes perçus comme critiques à l’égard du gouvernement. Elle s’est également retirée des sélections de prix journalistiques qui couvrent des sujets de société critiques, a vu de nombreux cadres démissionner tandis que d’autres personnalités ont été licenciées. Un fonctionnaire sans expérience journalistique a été installé à sa tête, promettant de remédier à une « faible » responsabilité éditoriale.

Le journal Apple Daily de Hong Kong, connu pour son soutien au mouvement démocratique, a été contraint de fermer fin juin. Après que son propriétaire, Jimmy Lai, ait été arrêté et inculpé pour collusion avec une puissance étrangère, en vertu de la loi sur la sécurité nationale, à la fin de l’année dernière. Les actifs du journal ont été gelés à la mi-juin en vertu de cette loi, entraînant sa fermeture, n’étant plus en mesure de payer son personnel. De nombreux chefs de service ont également été arrêtés.

« L’activité journalistique est entrée dans une “ère glaciaire” depuis que l’Apple Daily a été contraint de mettre la clé sous la porte, avec une pression croissante sur nous. Il est de plus en plus difficile de trouver quelqu’un prêt à accepter une interview pour raconter la terreur blanche. En outre, comme la norme de la “ligne rouge” est inconnue, il n’est pas clair si l’utilisation de la photographie pour illustrer un propos violera la loi, ou si ce sera de la sédition envers le régime lui-même », explique Alex Chan.

Antimasques © Lam Yik
Antimasques © Lam Yik

Cheng Wai Hok partage un sentiment similaire lorsqu’on lui demande ce qu’il craint le plus avec cette loi : « Vous ne savez pas ce qui va franchir la ligne rouge, de sorte que vous n’avez pas d’autre choix que l’autocensure, ce qui conduit à éviter les questions politiquement sensibles. » Et Lam Yik acquiesce lorsqu’on lui pose la même question : « Nous avons toujours dit comment éviter la « ligne rouge » dans le cadre de la LSN, mais on peut constater que cette ligne avance sans cesse. »

Même si la liberté de la presse s’érode à Hong Kong, ainsi que de nombreux autres droits, aucun des trois photojournalistes n’est prêt à abandonner son travail ou à quitter cette ville qu’ils appellent « maison ». Lorsqu’on lui demande si elle pense abandonner le photojournalisme ou quitter la ville, Lam Yik répond : « Non, je ne peux pas, surtout dans la situation actuelle de Hong Kong. Si je peux contribuer à faire savoir ce qui se passe ici, c’est le devoir d’une vie. »

18 novembre 2019, Université Polytechnique de Hong Kong, Hong Kong: après près de 48 heures de blocus par la police, au lever du soleil, les manifestants, sont prêts à traverser la ligne de défense de la police mais échouèrent un peu plus tard © Alex Chan

Interrogé sur l’avenir de Hong Kong, Cheng Wai Hok le compare à un roman dystopique : « Je pense à cette citation dans 1984 de George Orwell : “Toujours des yeux qui vous regardent et la voix qui vous enveloppe. Endormi ou éveillé, à l’intérieur ou à l’extérieur, dans le bain ou le lit – aucune échappatoire. Rien ne vous appartenait, sauf les quelques centimètres cubes de votre crâne.” »

Mais pour certains, comme Alex Chan, l’espoir des jours meilleurs existe. Et pas seulement pour les photojournalistes, mais pour tous les Hongkongais : « L’espoir. Même si cela semble bizarre de le dire, si nous continuons à faire ce en quoi nous croyons, il y aura toujours de l’espoir. » L’avenir nous dira quelle réalité l’emportera.

Par Robert E. Gerhardt, Jr.

Robert Gerhardt est un photographe et écrivain indépendant basé à New York. Ses images et ses écrits ont été publiés notamment par The Hong Kong Free PressThe GuardianThe New York Times et The Diplomat.

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