Blind Magazine : photography at first sight
Photography at first sight
Rechercher
Fermer ce champ de recherche.
Igor Mukhin, De l’URSS à la Russie

Igor Mukhin, De l’URSS à la Russie

Inconnu en France, Igor Mukhin nous convie dans son Moscou natal, des années 1980 à aujourd’hui. Comme si on y était. Cheminement dans la ville doublée d’une traversée dans l’histoire, « Générations, de l’URSS à la nouvelle Russie » est à dévorer dans une exposition ou dans un livre.
Moscou, 1987 © Igor Mukhin

Si on devait compter sur les doigts d’une main les faits marquants du 20e siècle, l’éclatement de l’Union soviétique y figurerait assurément tant cet événement a ouvert une nouvelle ère. Cela fait exactement 30 ans cette année et, étrangement, cet anniversaire passe inaperçu. Ou presque. La Maison Robert Doisneau (située à la lisière de Paris) nous fait revivre l’atmosphère des années précédant et suivant la fin des régimes communistes des pays de l’Est à travers le regard du photographe moscovite Igor Mukhin.

De Gorbatchev à Poutine en passant par Eltsine, Igor Mukhin en a vu passer des présidents. Ces figures politiques correspondant à trois périodes historiques distinctes de la Russie – 1985, 1991 et 2000 – articulent l’ouvrage chronologique. On y découvre principalement Moscou, sa ville natale et de cœur qu’il n’a jamais cessé de photographier depuis près de quarante ans. Pendant toutes ces années, Igor Mukhin a capté le changement des modes de vie et la mutation de la ville à travers des photos de rue et d’intérieur. « S’il commence en 1985, il ne prendra véritablement conscience de mener un travail documentaire qu’au milieu des années 1990, quand le pays passe du socialisme au capitalisme », commente Olivier Marchesi, co-commissaire de l’exposition et éditeur du livre qui travaille sur l’œuvre du Russe depuis 2017, époque où il vivait à Moscou et où il a rencontré le photographe. 

Moscou, 1994 © Igor Mukhin
Moscou, 1995 © Igor Mukhin

Ce n’est pas tant des faits qu’une ambiance générale qu’Igor Mukhin donne à voir dans ses images triées sur le volet pour le livre et l’exposition, lui qui a toujours beaucoup photographié « jusqu’à 800 pellicules par an », soit au moins 15 000 images. Autodidacte, il a reçu son premier appareil à l’âge de 16 ans en 1977. Dans cette Russie soviétique sous le contrôle d’un régime de fer, « la chambre noire où il développe et tire ses images est son espace de liberté », note toujours Olivier Marchesi. Quelques années plus tard, en 1985, lorsqu’il assiste à un match de football, il remarque un groupe de jeunes aux cheveux longs portant des vestes en jean. « Il leur demande s’il peut les peut les photographier, ces derniers acceptent ». C’est la Perestroïka, le KGB est moins présent, et le début de ce travail qu’il poursuit aujourd’hui encore. 

Moscou, Défilé du 4 novembre, 2006 © Igor Mukhin

Ses clichés montrent d’abord deux mondes qui se superposent : celui de la rue avec les dignitaires en costume ou les gens ordinaires et celui de l’underground et d’une jeunesse qui s’affranchit du système, a soif de liberté et embrasse la vie à bras le corps. Un exemple : dans une boutique, un portrait de Lénine côtoie un disque des Rolling Stones. Igor Mukhin capte ensuite les années Eltsine. Son style hors norme fait écho à cette période chaotique. Aussi libre que ses modèles – puisqu’il travaille pour lui-même et non pour répondre à une commande –, Igor Mukhin cadre serré dans le réel, décapite les corps, décentre les sujets. Il privilégie l’accumulation de plans, mixant flou et net, alterne instantanés et photos posées. La vie débridée est autant visible dans les attitudes et les postures de ses sujets que dans son esthétique. 

Moscou 2018 © Igor Mukhin
Moscou, 2018 © Igor Mukhin

Igor Mukhin est-il un photographe instinctif ? Pas exactement, répond Olivier Marchesi : « Plutôt faussement spontané car quand il voit une situation, il a toujours une idée derrière la tête, sait exactement ce qu’il veut et prend le temps qu’il faut pour l’obtenir ». Et en effet, la confusion qui règne dans ses images n’est qu’apparente, celles-ci sont en fait extrêmement composées. Assurément, il a un œil : la distance et l’angle de vue sont toujours justes, et plutôt que de chaos on peut parler de désordre organisé. 

Ici, chaque détail compte, autant d’un point de vue formel que de l’information contenue. Si l’humain est le sujet principal de son travail, toujours au premier plan, la ville et ses architectures emblématiques évoquant les strates de l’histoire est bien plus qu’un simple décor. C’est un personnage à part entière. Les images de Igor Mukhin gagnent à être connues, et à être scrutées.

Par Sophie Bernard

Igor Mukhin, « Générations, de l’URSS à la nouvelle Russie, 1985-2020 ». Du 22 octobre 2021 au 9 janvier 2022.
Maison de la photographie Robert-Doisneau, 1, rue de la Division du Général Leclerc, 94250 Gentilly, France.

Livre en français et en anglais, éditions Bergger, 128 p, 30 euros.

Moscou, Rue Nicolskaïa, 2001 © Igor Mukhin
Moscou, 1985 © Igor Mukhin

Ne manquez pas les dernières actualités photographiques, inscrivez-vous à la newsletter Blind.