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Imaginer le premier jour sur Terre en Afrique

Découverte du travail de Yannis Davy Guibinga, qui utilise l’art pour élever la dignité de son peuple, honorer les traditions ancestrales et défier le néocolonialisme.
Yannis Davy Guibinga
© Yannis Davy Guibinga

En 1980, Fela Kuti, le pionnier de l’afrobeats s’associe au musicien noir américain Roy Ayers pour enregistrer « Africa Center of the World », une chanson d’amour pas comme les autres. « Avant de mourir, je veux mourir sans enthousiasme, et être un fan de mon peuple avant d’être une rockstar », chante Fela, conscient que la musique peut fédérer. Bien que l’Afrique soit le berceau de l’humanité, au cours des 500 dernières années, les impérialistes en ont exploité ses ressources naturelles, dénigré ses traditions et laissé le continent en ruines. 

Après la victoire des Éthiopiens sur les Italiens lors de la Seconde Guerre mondiale, une nouvelle ère voit le jour. Au milieu du 20e siècle, le mouvement pour l’indépendance de l’Afrique prend racine, les nations se soulevant les unes après les autres pour chasser les impérialistes occidentaux du continent. Mais même après l’expulsion des puissances étrangères, une nouvelle forme d’oppression apparaît : le néocolonialisme. Le philosophe français Jean-Paul Sartre est le premier à décrire ce phénomène en 1956, en observant comment l’Occident utilise le capitalisme, la mondialisation et l’impérialisme culturel pour contrôler et exploiter les nations en développement.

Yannis Davy Guibinga
© Yannis Davy Guibinga

Depuis des décennies, les Africains du continent utilisent l’art comme une forme de résistance et un moyen d’honorer et de préserver leur patrimoine. Comme Fela, le photographe canadien d’origine gabonaise Yannis Davy Guibinga se sert de l’art pour élever la dignité de son peuple, honorer les traditions ancestrales et défier le néocolonialisme. « Le continent africain a été victime de l’agenda colonial, dont l’un des principaux piliers a été la destruction systématique et complète des traditions, de l’histoire et des artefacts culturels afin de les remplacer par les leurs », explique Guibinga. « Je crois qu’il est important d’honorer ces éléments qui ont aujourd’hui presque complètement disparu pour les maintenir en vie dans un monde qui, en réalité, a essayé de les effacer. » 

Au commencement

L’histoire des origines – qu’il s’agisse de fables ou de faits réels – nourrit depuis longtemps le besoin partagé de l’humanité de comprendre qui nous sommes et comment nous sommes apparus. Dans la nouvelle série « Tales of the First Sunrise » (« Contes du premier lever de soleil »), dont une sélection est présentée dans l’exposition « Perspectives from Within : Our Cultures Through Fashion », Guibinga réimagine le premier jour sur Terre à travers un regard africain. « L’histoire des origines est importante dans toutes les cultures du monde », explique-t-il. « En tant qu’humains, nous nous sentons mieux quand nous pensons à nos origines et à la façon dont tout a commencé. »

Yannis Davy Guibinga
© Yannis Davy Guibinga
Yannis Davy Guibinga
© Yannis Davy Guibinga

Pour « Tales of the First Sunrise », Guibinga s’inspire de ses premières rencontres avec l’art traditionnel africain, où la silhouette des sculptures se détachait en contraste sur un fond fort et coloré. Cette œuvre aide Guibinga, qui vit maintenant à Montréal, à maintenir un lien fort avec ses racines africaines. 

« La couleur a toujours joué un rôle important dans mon travail et c’est l’un des principaux éléments de mes images », explique-t-il. « J’ai toujours été intéressé par l’influence que les couleurs peuvent avoir sur une image, mais cet intérêt s’est élargi pour inclure également la signification culturelle des couleurs. Partout dans le monde, les couleurs ont une signification sociale qui diffère selon le contexte. Explorer à travers la photographie les différentes significations de la couleur dans diverses parties du continent africain me permet d’en apprendre davantage sur ces communautés traditionnelles. »

Yannis Davy Guibinga
© Yannis Davy Guibinga
Yannis Davy Guibinga
© Yannis Davy Guibinga

Sous un nouveau jour

Ayant grandi au Gabon, Yannis Davy Guibinga se souvient avoir feuilleté, adolescent, les exemplaires du magazine Vogue de sa mère. Et avoir remarqué la façon dont les photographes utilisent les images pour créer leur propre univers et raconter des histoires. Guibinga décide alors de faire la même chose. Attiré par le travail de Mert & Marcus, Malick Sidibé, Seydou Keïta et J.D Okhai Ojeikere, Guibinga va développer un style de portrait et de photographie de mode qui s’appuie essentiellement sur l’esthétique africaine.

« Ces photographes ont chacun créé leur propre univers visuel et y ont évolué tout au long de leurs carrières respectives », explique Guibinga, qui admire leur capacité à coupler mode et culture pour créer un langage visuel original.

Yannis Davy Guibinga
© Yannis Davy Guibinga

Après avoir obtenu son diplôme d’études secondaires en 2013, Guibinga déménage à Toronto. Même si le Canada prétend être un État tolérant, Guibinga y ressent le choc de l’altérité. En quête d’une communauté, il trouve des gens avec qui partager l’expérience d’être Noir au Canada et commence à travailler avec eux sur des projets photographique, une manière de faciliter la transition vers sa nouvelle vie. 

En vivant au Canada, Guibinga commence à voir et à penser à sa culture et à son identité sous un jour nouveau. Il observe : « Je suis reconnaissant d’avoir voyagé et d’être sorti de ma zone de confort, ce qui m’a permis d’être plus conscient et plus critique vis-à-vis des différents croisements qui créent mon identité et influencent la façon dont je suis présent au monde et dont je suis vécu par lui. »

Une vision authentique

Yannis Davy Guibinga
© Yannis Davy Guibinga
Yannis Davy Guibinga
© Yannis Davy Guibinga
Yannis Davy Guibinga
© Yannis Davy Guibinga

À travers ses photographies, Yannis Davy Guibinga associe son amour de la couleur et du symbolisme pour créer un monde libéré de l’hégémonie culturelle occidentale. « La photographie est un outil qui a été introduit sur le continent africain par des Européens qui avaient en tête un programme colonial très spécifique. En raison de ce programme, les images de l’Afrique étaient des stéréotypes du continent ainsi que de ses peuples et de ses cultures », explique M. Guibinga.

« Aujourd’hui, les photographes africains sont en mesure d’utiliser ce même outil pour créer leurs propres récits et contrer les stéréotypes sur l’Afrique qui dominent encore dans les médias occidentaux. C’est un moyen d’affirmer les perspectives, les opinions et les points de vue des Africains sur leur propre culture et leur patrimoine, afin de donner une nouvelle perspective plus authentique sur ce que signifie être Africain. »

L’exposition « Perspectives from Within : Our Cultures Through Fashion » se tient à la galerie Brick at Blue Star à San Antonio, Texas.

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