Comme d’autres fleuves, en France et ailleurs, les rives de la Loire n’ont pas résisté aux sirènes de la croissance. Zones pavillonnaires, surfaces commerciales, poteaux, pylônes, ponts suspendus, et même la centrale nucléaire de Dampierre qui terrifiait Christophe Blain dans son enfance, nous voici loin de la Loire chantée par les poètes au temps des nobles et beaux châteaux. C’est une évidence, la Loire n’est plus celle de François 1er, ou des truites pêchées par le grand-père de Christophe Blain, l’auteur du Monde sans fin, édité par Dargaud. Mais à quoi ressemble la Loire aujourd’hui ?
Livre posthume, assorti d’une exposition à Tours, Loire, en plus d’honorer sa mémoire, se veut un compte-rendu précis du travail de Thibaut Cuisset (1958-2017), qui fit du paysage, urbain et autre, sa recherche. Un peu comme Pierre de Fenoyl (1945-1987), si méticuleux, et dont chaque fragment – arbre, ciel, champ, chemin, nuage, maison – paraissait être indépendant, comme en attente d’être ordonné dans un paysage-tiroir. De Fenoyl photographiait en noir & blanc, Thibaut Cuisset en couleurs (d’où sa réputation de coloriste). Et, chez lui, c’est vrai, surprennent toujours ces couleurs, ni agressives ni dramatiques, comme s’il les avait extraites d’une mystérieuse palette, presque mentale.
Question : de quelle couleur est la Loire ? Impossible de répondre tant ce fleuve au long cours (1013 km) se joue de la géographie, de sa source ardéchoise (Mont Gerbier-de-Jonc) à son ouverture océanique, à Saint-Nazaire. Il faut imaginer Thibaut Cuisset en compagnie de sa chambre photographique, et comme il l’écrit en 2008: « … Regarder ces lieux laissés de côté, qui n’ont rien de spectaculaire mais qui fondent nos campagnes. En avoir un regard “d’ici et maintenant”, sans patriotisme, sans nostalgie non plus ou, s’il y en a une, ce serait alors dans la chose elle-même. » Extraite de l’avant-propos de Camille Cuisset, cette citation éclaire la proposition du photographe, qui ne guette pas le passage des nuages ou des oiseaux, mais qui s’inscrit dans le présent.
Loire, composé de soixante-deux photographies, peut se lire classiquement, du début à la fin, premières photos en 2001, les dernières en 2010. Ou, par exemple, on peut suivre le fleuve de la source à l’estuaire. C’est un voyage inattendu, qui rappelle le souvenir sentimental de Julien Gracq, sans que l’on sache vraiment s’il ne vaudrait pas mieux s’arrêter à Chouzy-sur-Cisse, voire s’y établir, tant la Loire y est panoramique. Ou bien à Candes-Saint-Martin, non loin du musée Rabelais, dont les vignes noyées de jaune apparaissent comme un champ de boutons d’or peint par un maître hollandais du XVIIe siècle.
C’est là tout l’art sans artifices de Thibaut Cuisset que d’apporter un point de vue serein, ou au moins est-il ainsi ressenti, sur ce territoire ligérien en mouvement. Celles/ceux qui aiment Loire en profiteront pour découvrir tous les ouvrages de Thibaut Cuisset qui sut, fait rare, s’accompagner d’auteur.e.s d’une grande finesse.
Thibaut Cuisset, Loire. Filigranes Éditions et Jeu de Paume, 112 pp., 40 euros. Textes de Camille Cuisset et Jean-Marc Besse.
Thibaut Cuisset. Exposition de Thibaut Cuisset au château de Tours, jusqu’au 22 mai. Commissaires : Camille Cuisset et Quentin Bajac.
Christophe Blain, Le monde sans fin, scénario de Christophe Blain et Jean-Marc Jancovici.
Visite de la maison de Julien Gracq. Du 30 mars au 12 novembre
Visite du musée Rabelais, à Seuilly.
