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La vie des Noirs dans le Sud des États-Unis, par Ernest C. Withers

La vie des Noirs dans le Sud des États-Unis, par Ernest C. Withers

Un livre et une exposition dévoilent le travail d’un ancien policier devenu photojournaliste à l’époque de la lutte pour les droits civiques.
Double exposition d’une marche nocturne © Ernest C. Withers

En des temps où les grands journaux américains engageaient rarement des photographes noirs, le Dr Ernest C. Withers, Sr. (1922 – 2007) s’y était fait une place. Son travail, présenté à l’occasion de l’exposition « I’ll Take You There » (Je t’emmènerai là-bas) et dans un nouveau livre, The Revolution in Black and White : Photographs of the Civil Rights Era by Ernest C. Withers (La révolution en noir et blanc : Photographies de l’ère des droits civiques par Ernest C. Withers) (CityFiles Press) donnent un aperçu de la vie des Noirs dans le Sud des États-Unis au plus fort de la lutte pour les droits civiques.

Originaire de Memphis, Tennessee, Withers est l’un des neuf premiers policiers noirs à rejoindre les forces de l’ordre en 1948, après avoir servi dans le Pacifique pendant la Seconde Guerre mondiale. Bien qu’ayant reçu un uniforme, une voiture de patrouille et une arme, il lui est interdit de patrouiller dans les quartiers blancs ou d’arrêter des Blancs. Son pouvoir est alors strictement limité aux confins du Memphis noir, au plus fort de la ségrégation.

Le studio d’Ernest Withers’s sur Beale Street © Ernest C. Withers
B.B. King joue sur la scène de l’Hippodrome à Beale Street à Memphis, TN, avec Bill Harvey, vers 1950 © Ernest C. Withers

En dehors de ses heures de service, il photographie cette même communauté, documentant la fabuleuse scène musicale de Beale Street, lieu de naissance d’icônes du blues comme B.B. King. Après s’être fait attraper alors qu’il vend  de l’alcool illégalement, Withers quitte la police pour travailler comme photographe indépendant. Il travaillera pour le Tri-State Defender, l’antenne à Memphis du célèbre journal noir de Chicago, et pour les illustres magazines que furent Ebony et Jet, tout en étant le photographe officiel de Stax Records pendant 20 ans.

Les cartes de visite de Withers portent à l’époque la mention « Pictures Tell The Story » (Les images racontent l’histoire) – ce qui sera sa ligne de conduite pendant les six décennies au cours desquelles il réalisera plus d’un million d’images. Plus tard, alors qu’il est mort depuis bien longtemps, coup de théâtre, des documents vont révéler qu’Ernest C. Withers était aussi un informateur dûment rémunéré par le FBI.

Un héritage complexe

En 1955, Ernest C. Withers est le seul photographe à documenter l’intégralité du procès pour meurtre d’Emmett Till – un gamin de 14 ans dont le lynchage à mort va déclencher la lutte pour le mouvement des droits civiques dans le Sud. Withers suit le leader de cette cause, Martin Luther King Jr, de son premier coup de force, le boycott des bus de Montgomery en 1956, au dernier, la grève des éboueurs noirs de Memphis en 1968, et leurs pancartes clamant « I Am a Man ». Il immortalise également les Neuf de Little Rock, ces étudiants noirs inscrits à la Central High School de la capitale de l’Arkansas en 1957, mais interdits d’accès à leur lycée par la Garde nationale mobilisée par le gouverneur de l’Etat ; ainsi que les funérailles du militant Medgar Evers en 1963, et celles du Dr King en 1968.

Un train de mules, faisant partie de la Campagne des pauvres de Martin Luther King Jr., quitte Marks, Mississippi, pour Washington D.C, 1968 © Ernest C. Withers
« I Am a Man », Grève des éboueurs, Memphis, TN, 1968 © Ernest C. Withers

Mais en 2010, dans le cadre du Freedom of Information Act (loi d’accès à l’information), le FBI publie des documents indiquant que Withers a commencé à collaborer avec le bureau juste après avoir pris sa première photo du Dr King en 1956 – révélation aussi choquante qu’attendue. Le FBI s’intéresse ainsi à lui dès 1946, pour cause de présumées sympathies communistes. Son travail d’informateur prendra fin après que des enregistrements aient révélé qu’il utilisait sa position pour tenter de faire libérer un jeune Noir risquant une lourde peine pour une première infraction.

Dans son ouvrage paru en 2019, Bluff City : The Secret Life of Photographer Ernest Withers, l’auteur, Preston Lauterbach, étudie l’héritage complexe de Withers. Et même si ce dernier ne peut corroborer sa version, Lauterbach a fait part de ses doutes à The Intercept : « On est en droit de se demander si Withers n’avançait pas masqué. En d’autres termes : s’il ne racontait pas au FBI ce que l’agence voulait entendre ? »

Junienne Briscoe, 16 ans, a rejoint la manifestation à Main Street © Ernest C. Withers

Impossible à savoir. En revanche, ce qui restera ce sont ses images. « La photographie fait office de mémoire. Tous les photographes en ont conscience », affirmait Withers. « Instinctivement, les gens qui ont une profession savent ce qu’ils ont à faire. Pour éteindre un feu, vous appelez les pompiers ; en cas de pépin, vous sollicitez la police. Quant aux professionnels de l’information et autres journalistes, ce sont des collecteurs de preuves qui, après coup – des jours, des mois ou des années – feront l’histoire. »

Par Miss Rosen

Miss Rosen est une journaliste basée à New York. Elle écrit sur l’art, la photographie et la culture. Son travail a été publié dans des livres, des magazines, notamment TimeVogueAperture, et Vice.

Ernest C. Withers: “I’ll Take You There”, Galerie Fahey/Klein, 148 N La Brea Ave, Los Angeles, CA 90036, YSA. Jusqu’au 4 septembre 2021.

The Revolution in Black and White: Photographs of the Civil Rights Era by Ernest C. Withers, publié par CityFiles Press, $49.95.

Un rassemblement à Booker T. Washington High School © Ernest C. Withers
Etudiant bénévole travaillant à l’enregistrement des votants, 1964-65 © Ernest C. Withers
Michael Willis, Harry Williams, et Dwania Kyles assis sur la banquette arrière d’une voiture durant le premier jour d’intégration à l’école de Memphis, 1961 © Ernest C. Withers
Portrait dans un champ de coton © Ernest C. Withers

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