C’est au détour d’une conversation familiale que la photographe Shiraz Bazin-Moussi a découvert il y a quelques années une erreur de Google Maps : l’île Mellita, une des îles Kerkannah situées au large de la Tunisie, n’était pas mappée sur leur carte. Pour Bazin-Moussi, cet oubli (qui a été rectifié après l’envoi de courriers pour signaler l’erreur) n’était pas qu’une simple anecdote, il a réveillé en elle « ses plus beaux souvenirs ». Sa famille passait de longs étés dans cet archipel, partageant leur année entre leur petit appartement parisien et ce lieu intemporel où elle se sentait « totalement libre » écrit-elle dans sa première monographie L’écume des amnésies publiée aux éditions Le bec en l’air.

Dans cet ouvrage conçu comme « l’idée d’une carte postale qu’on enverrait pour donner des nouvelles », la photographe revient sur ses origines tunisiennes et en particulier sur les traces de son enfance à la recherche d’images, de rencontres, de lieux… : « J’ai fait le voyage avec ce qu’il restait de mon regard et de mes sensations d’enfant – de loin mes souvenirs de vacances les plus intenses et les plus joyeux. L’aventure commençait par le trajet en voiture où s’entassaient enfants, adultes et bagages mal ficelés. Il y avait aussi ces serviettes humides coincées dans les portières pour estomper le soleil brûlant, les discussions sans fin pour savoir qui occuperait les places près des fenêtres… Je ne sais pas par quel miracle nous tenions à neuf dans une voiture prévue pour cinq. Nous étions bruyants, insouciants, libres et heureux. »

Parfois l’enfance est retrouvée au coin d’une rue, face à la mer, devant un champ de figuiers de barbarie ou dans les dessins d’une main qui s’attèle en cuisine et c’est tout un monde qui revient à elle, un monde de souvenirs que la photographe ne peut plus que rêver ou atteindre avec les yeux. Elle capture alors ces instants volés, ces instants précieux afin d’en garder une trace, une trace indélébile à l’image du titre de l’une de ses photographies : « Ne m’oublie pas ». Les tirages réalisés par l’atelier Fresson aident à sublimer les couleurs des images qui semblent alors intemporelles.

On dit de Mellita qu’elle a été le lieu de réclusion des femmes adultères de l’entourage immédiat des beys, qu’on punissait en les exilant sur cette terre lointaine. On dit aussi qu’elle a été le refuge que Habib Bourguiba, président tunisien entre 1957 et 1987, avait trouvé pour échapper aux prisons françaises. Aujourd’hui l’île est considérée comme la principale plateforme d’émigration en Tunisie mais reste surtout une île de pêcheurs, « un territoire blessé par l’histoire et livré au temps qui passe (…) un territoire où l’on vient chercher la liberté en se faisant oublier. »
Par Sabyl Ghoussoub
Né à Paris en 1988 dans une famille libanaise, Sabyl Ghoussoub est un écrivain, chroniqueur et commissaire d’exposition. Son deuxième roman Beyrouth entre parenthèses est sorti aux éditions de l’Antilope en août 2020.

L’écume des amnésies, Shiraz Bazin-Moussi
Le bec en l’air
28€, 56 pages
Disponible ici
Atelier L’Œil Vert
Exposition du 23 janvier au 13 mars 2021
12 Rue Léopold Bellan, Paris 2, France

