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Lisette Model, leçon de photographie

À travers une sélection des années 1930 à 1970, une exposition à la galerie Baudoin-Lebon, à Paris, permet de redécouvrir les séries phares du parcours de Lisette Model, pionnière de la street photography.
Lisette Model, First-Reflection, New-York, vers 1939-1940 © Lisette Model avec l’aimable autorisation de Baudoin Lebon et Avi Keitelma

« Ne prends jamais ce qui ne te passionne pas », c’est le conseil donné à Lisette Model par Rogi André, photographe oubliée, première femme de André Kertész. Nous sommes en 1933, Lisette Model va bientôt abandonner la musique pour la photographie. Née à Vienne en 1901, elle s’installe en France en 1926, pays natal de sa mère, où elle commence à s’intéresser au médium. Mais c’est principalement à New York, où elle migre en 1938, qu’elle réalise ses plus célèbres clichés, dans la décennie 1939 et 1949, période phare de son parcours. L’une d’entre elle représente une baigneuse corpulente sur la plage de Coney Island. Une icône.

C’est sans doute parce que Lisette Model prendra le conseil de Rogi André à la lettre qu’elle sera aussi créative dans son approche de la rue à une époque où la street photography n’en est qu’à ses balbutiements. Dès sa première série en 1934, elle “croque” la bourgeoisie fréquentant la promenade des Anglais à Nice. Elle semble prendre un malin plaisir à souligner le ridicule de l’accoutrement et des postures. Elle saisit les passants lorsqu’ils grimacent, ferment les yeux ou sont affalés sur un fauteuil. Son œil perçant, mélange d’insolence et d’audace, redouble lorsqu’elle débarque à New York quatre ans plus tard. 

Coney-Island Bather, New-York, vers 1939-1941 © Lisette Model avec l’aimable autorisation de Baudoin Lebon et Avi Keitelman
Lisette Model, Running legs, New-York, 42nd-Street, 1940-41 © Lisette Model avec l’aimable autorisation de Baudoin Lebon et Avi Keitelman

Elle s’est forcément posé la question : comment rendre compte de la modernité de cette ville, première cité verticale, que les Européens voient comme un « nouveau monde » ? Là où de nombreux autres, comme sa contemporaine Berenice Abbott, privilégient les buildings dont les sommets grattent le ciel, elle, elle parcourt les rues et se concentre sur les passants. Mais elle va évidemment adapter son style à l’atmosphère si particulière des rues new-yorkaises afin de rendre compte de l’agitation de la foule et traduire l’effervescence.

Pour la série, « Running Legs » (1940-1941), elle opte pour les gros plans sur les jambes et les pieds. Ainsi, elle montre à la fois l’envahissement des rues par les piétons et leur course folle. Parallèlement, Lisette Model s’intéresse aux reflets et ombres sur les vitrines des devantures. Cette fois, elle livre des images encore plus complexes, enchevêtrements et superpositions de silhouettes et de bâtiments. Des compositions où il est difficile de dénouer le réel de l’illusion. Elle ouvre ainsi une porte sur l’abstraction et stimule l’imaginaire du spectateur.

Lisette Model, Reflections, New-York, Hand, 1939-45 © Lisette Model avec l’aimable autorisation de Baudoin Lebon et Avi Keitelman
Lisette Model, San-Fransisco, Woman with butterfly broche,1949 © Lisette Model avec l’aimable autorisation de Baudoin Lebon et Avi Keitelman

Si Lisette Model fait part de sa fascination pour l’ambiance générale de la ville et le caractère anonyme de la foule, elle ne perd pas pour autant son intérêt pour les individus. Témoin : « Pedestrians », où elle fait le portrait de piétons à la volée, mais aussi la série sur les bars et night-clubs du Lower East Side et du Bowery, des quartiers populaires. Car son grand mérite est de s’intéresser à toutes les classes sociales. Et à chaque fois, c’est dans la banalité et le quotidien qu’elle sait trouver l’extraordinaire et une forme de vérité, comme le prouvent ses vues de Coney Island (1939-1941).

Tout au long de son parcours, Lisette Model gagne sa vie grâce à la presse, notamment Harper’s Bazaar, et son travail est exposé dès les années 1940 au MoMA de New York et à l’Art Institute de Chicago. Elle laisse également son empreinte en tant qu’enseignante, Diane Arbus étant sa plus célèbre élève. A ses étudiants, elle aussi a donné un bon conseil : « Photographiez avec vos tripes ! ». 

Par Sophie Bernard

Sophie Bernard est une journaliste spécialisée en photographie, contributrice pour La Gazette de Drouot ou le Quotidien de l’Art, commissaire d’exposition et enseignante à l’EFET, à Paris.

Lisette Model SidewalkGalerie Baudoin Lebon, du 8 septembre au 2 octobre 2021. Nouvelle adresse : 21 rue chapon 75003 Paris.

Lisette Model, Pearl-Primus, New-York, 1943 © Lisette Model avec l’aimable autorisation de Baudoin Lebon et Avi Keitelman
Lisette Model, Running legs, New-York, vers 1940-41 © Lisette Model avec l’aimable autorisation de Baudoin Lebon et Avi Keitelman
Lisette Model, Jazz Bud-Powell, New-York, Jazz-festival © Lisette Model avec l’aimable autorisation de Baudoin Lebon et Avi Keitelman

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