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Naima Green, forces intimes

Contrainte de ralentir le rythme de sa vie après un accident de voiture, la photographe américaine a transformé sa pratique et célèbre le pouvoir de guérison de l’amour, de l’intimité et de la joie.

La vie de l’artiste et enseignante queer Naima Green a été un tourbillon jusqu’à ce qu’un grave accident de voiture, en juin 2021, ne la contraigne à ralentir son rythme. Immobilisée au lit durant des mois, ne retrouvant que très lentement l’usage de ses bras, elle n’a d’autre loisir que de réévaluer ses priorités, explorer les profondeurs de son esprit et de son âme, et interroger ses aspirations en tant qu’artiste, femme, amie et compagne.

Elle se consacre alors, principalement, à revisiter ses archives, et découvre des relations entre les images qu’elle n’avait jamais aperçues auparavant.

I Hope Your Flowers Bloom, 2021, impression pigmentaire, 40 ✕ 40 in (101,6 ✕ 101,6 cm). Harlem, New York. © Naima Green. Avec l’aimable autorisation de l’Institut d’Art Contemporain de l’Université VCU.

Collaborer avec les autres est essentiel dans le travail de Naima Green. Les amitiés et relations de longue date lui inspirent des images où elle explore les concepts de réciprocité, de parenté et d’intimité. La photographie pourrait, selon elle, contribuer à construire et renforcer une communauté : d’où le choix de modèles queer de couleur, à Brooklyn, pour sa réinterprétation du jeu de cartes revisité Dyke Deck de Catherine Opie, sous le titre de Pur·suit.

En transformant ses images en cartes à jouer, Naima Green dénonce la préciosité de l’objet photographique, son prix parfois inaccessible et son caractère statique. Elle met son travail à la disposition des gens plutôt qu’elle ne les contraint à aller vers lui : ainsi s’intègre-t-il parfaitement à leur vie.

River Shadows, 2021. Queens, New York. © Naima Green. Avec l’aimable autorisation de l’Institut d’Art Contemporain de l’Université VCU

L’œuvre apparaît sans doute comme rebelle, mais Naima Green l’a soigneusement et longuement planifiée. Lorsqu’elle peut, à nouveau, se servir de son appareil, le poids de celui-ci la gêne : elle est en quête d’une nouvelle liberté, qui lui permette d’explorer le langage visuel de l’espace domestique, du plaisir et du jeu. C’est cette recherche que met en évidence « I Keep Missing My Water », sa nouvelle exposition présentée à l’Institute for Contemporary Art de VCU en Virginie, sous la direction d’Amber Esseiva.

« J’ai essayé de miser sur le sentiment plutôt que d’apporter toutes les réponses, j’ai seulement suivi mon instinct et mon intuition, confiante que cela me mènerait quelque part, sans utiliser un langage académique », dit-elle.

On The Shores Of The Sky, 2021, impression pigmentaire, 30 ✕ 30 in (76,2 ✕ 76,2 cm). Cherry Grove, Fire Island, New York. © Naima Green. Avec l’aimable autorisation de l’Institut d’Art Contemporain de l’Université VCU.
It Lingers Sweet, 2022, impression pigmentaire, 36 ✕ 36 po (91,44 ✕ 91,44 cm). Los Angeles, CA. © Naima Green. Avec l’aimable autorisation de l’Institut d’Art Contemporain de l’Université VCU.

Lâcher prise et tenir bon

En tant qu’artiste invitée par la fondation Harnish et enseignante en photographie et médias numériques au Smith College du Massachusetts, Naima Green a été marquée par le monde académique, dans son approche de son médium. Mais elle s’est affranchie de ces conceptions depuis son accident, en 2021, pour revenir à l’essence même de la créativité.

Inspirée par la chanson d’Otis Redding de 1965 You Don’t Miss Your Water, Naima Green a mesuré la portée du message du roi de la soul : il faut profiter de ce que l’on a avant qu’il ne disparaisse. Otis Redding, qui périra tragiquement dans un accident d’avion deux ans plus tard à l’âge de 26 ans, chante l’amour et la séparation, qu’il aurait évitée s’il avait compris les sentiments de la femme qu’il aimait.

Like Sharing Water After Sex, 2021, vinyle, 5 ✕ 7 in. (12,7 ✕ 17,78 cm). Montego Bay, Jamaïque. © Naima Green. Avec l’aimable autorisation de l’Institut d’Art Contemporain de l’Université VCU.

« La manière dont il chante, le manque qu’il ressent et sa vulnérabilité m’ont vraiment touchée », dit Naima Green, qui s’est inspirée de la chanson pour analyser ses propres sentiments amoureux, à l’heure de la transition vers une nouvelle vie. « On existe en eux, on baigne en eux, on les apprécie, et on les laisse tout simplement nous submerger, on se soumet vraiment à ces sentiments. »

Consciente qu’il faut laisser les choses suivre leur cours, Naima Green est pleinement présente, autant dans sa vie que dans son travail. Utilisant un polaroid, elle réalise des séquences cinématographiques, nous permettant de partager les joies tranquilles de moments ordinaires : manger un œuf à la coque, partager des instants de plaisir fugaces, aussi vite oubliés que vécus.

The Swell, 2021, impression au pigment d’archivage, 14 ✕ 21 po (35,56 ✕ 53,34 cm). Nyack, New York. © Naima Green. Avec l’aimable autorisation de l’Institut d’art contemporain de la VCU.
[Angelic Run], 2021, impression pigmentaire, 14 ✕ 21 in. (35,56 ✕ 53,34 cm). Nyack, NY. © Naima Green. Avec l’aimable autorisation de l’Institut d’Art Contemporain de l’Université VCU.
Full Sours, Lil Sweetie, 2021, impression pigmentaire, 14 ✕ 21 in. (35,56 ✕ 53,34 cm). Nyack, NY. Avec l’aimable autorisation de Institut d’Art Contemporain de l’Université VCU.

Vivre, aimer, archiver

L’année dernière, Naima Green a réalisé une série d’images aux Etats-Unis mettant en scène l’eau comme métaphore de la fluidité, de la vitalité, de la sexualité et de la liberté. « Je considère l’eau comme un lieu de transformation de soi-même, qu’elle soit difficile, dangereuse, belle ou agréable », explique Naima Green, qui connaît l’ambivalence de l’eau, cette alliée de la vie qui peut aussi la détruire. 

« Je voulais m’interroger davantage sur les rituels de la vie quotidienne, sur la présence – plus ou moins importante – de l’eau ainsi que son absence, qui peut être extrême en même temps que communiquer un sentiment de paix. »

I Need My Water, 2021. Impression pigmentaire, 26 ✕ 26 p (66,04 ✕ 66,04 cm). Cherry Grove, Fire Island, NY. © Naima Green. Avec l’aimable autorisation de l’Institut d’Art Contemporain de l’Université VCU.

Concevant sa pratique comme un archivage de la vie, Naima Green fournit, à travers ses images, une expérience multisensorielle de tendres instants de paix. L’exposition « I Keep Missing My Water » rassemble des poèmes, playlists, questionnaires, lettres d’amour, enregistrements audio et souvenirs de repas partagés, grâce auxquels nous percevons la vie intérieure de ceux qui sont chers à l’artiste.

« Je veux vraiment que mon travail soit un témoignage, mais pas totalement linéaire », explique Naima Green à propos d’un bref clip audio de personnes âgées jouant de la musique sur Orchard Beach, la légendaire Riviera du Bronx. Incapable d’identifier la chanson, la photographe en a néanmoins capturé un extrait, témoin parfait d’un court chapitre chaleureux de la vie.

“Quand nous prions, nous aimons également quelqu’un”, 2021. Yorktown Beach, VA. © Naima Green. Avec l’aimable autorisation de Institut d’Art Contemporain de l’Université VCU.

« Je veux faire des photographies qui touchent le public, mais aussi libérer une énergie », dit Naima Green. « Les photographies ont toujours été très importantes pour moi, dans le contexte de la famille où j’ai grandi. C’est ainsi que l’on rencontre les plus vieux, ceux que l’on n’a pas pu connaître, et que l’on se souvient du temps passé avec les gens. On est informé de sa propre histoire, sa généalogie, on pense aux ancêtres comme à des âmes qui vous aiment, vous soutiennent et vous protègent. »

Pour Naima Green, un travail intensément personnel est achevé lorsqu’elle le partage avec le public. « J’ai un énorme sentiment de vulnérabilité, et ce que je fais est très émotionnel, dans la mesure où j’ai grandi dans un milieu où le corps était un sujet tabou », dit-elle. « Ressentir cette liberté dans mon corps, ainsi que dans le corps de mes amis intimes et mes compagnons est quelque chose que j’ai voulu documenter, au nom de nous tous qui avons eu tant de mal à être qui nous sommes au quotidien. C’est un bel accomplissement dont je suis fière. Il y a un an et demi, je ne pouvais pas sortir du lit. C’est très bouleversant, mais dans le meilleur sens du terme. »

L’exposition «Naima Green: I Keep Missing My Water» est présentée à l’Institute for Contemporary Art de la Virginia Commonwealth University à Richmond, en Virginie, jusqu’au 2 janvier 2023.

It’s The Same Me On The Other Side, 2021. Impression pigmentaire, 36 ✕ 24 in. (91,44 ✕ 60,96 cm.) © Naima Green. Avec l’aimable autorisation de l’Institut d’Art Contemporain de l’Université VCU.

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