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Noémie Goudal: « Au temps de la planète, pas au nôtre »

Dans cet entretien, l’artiste Noémie Goudal parle de sa démarche dans la mise en œuvre de « Phoenix », objet d’une exposition aux Rencontres d’Arles. Elle y interroge la notion du temps, notre perception de l’environnement et des images que nous en avons.  

Arrêt sur image de Below the Deep South, 2021. © Noémie Goudal, avec l’aimable autorisation de la galerie Les Filles du Calvaire et de l’artiste.

Le titre « Phoenix » fait penser à la mythologie grecque, à l’oiseau qui meurt dans les flammes et renaît de ses cendres. Quelle signification revêt-il par rapport à votre travail ?

« Phoenix », qui est exposé à Arles, fait partie d’un ensemble plus vaste intitulé « Post Atlantica ». Cette exposition particulière en est, disons, un chapitre. Ce titre de « Phoenix » est très simple car l’œuvre porte sur l’étude des palmiers et leur rôle dans la paléoclimatologie, et phœnix est le nom scientifique du palmier. Ensuite, il y a la mythologie, relative à l’oiseau qui renaît de ses cendres. Il donne un sens à l’histoire à travers le temps, et mon travail consiste à étudier le temps dans le paysage. Nous associons généralement les cendres à la « fin », mais il y a aussi quelque chose qui vient après les cendres, et c’est ce dont parle la paléoclimatologie. Il s’agit de la transformation d’une chose en une autre.

Le Phénix mythologique est lié au feu, que vous utilisez dans vos œuvres. La façon dont le feu se développe est difficile à prévoir. Ce qui est intéressant c’est l’équilibre entre la façon dont vous planifiez méticuleusement vos prises de vue et l’imprévisibilité des éléments naturels avec lesquels vous travaillez. Pouvez-vous nous parler de cette équilibre entre intention et improvisation ?

Phoenix II, 2021. © Noémie Goudal, avec l’aimable autorisation de la galerie Les Filles du Calvaire et de l’artiste.

C’est une bonne question. En fait, c’est un mélange des deux. C’est aussi pour cela que travailler avec le feu est incroyable, il y a tellement de choses que vous ne pouvez pas planifier dans le chemin que va emprunter le feu, allant d’une chose à l’autre. Je planifie donc tout au mieux, puis la magie opère. Parfois ça marche, d’autres fois non. Parfois, j’ai le soleil qui arrive, la pluie ou le vent, et je dois faire avec.

Pour la plupart des gens, la photographie est une activité solitaire, alors que, nécessairement, pour travailler, vous avez besoin de plusieurs collaborateurs. Avez-vous toujours procédé ainsi ou est-ce venu avec l’expérience ?

C’est par l’expérience que j’ai appris. Je ne suis pas sûre d’être la meilleure dans ce domaine, car c’est encore très difficile. Mais j’aime l’atmosphère d’une séance photos, semblable à celle d’un plateau de cinéma. Ce que j’apprécie vraiment, c’est travailler avec des experts dans leur domaine. Par exemple, je travaille avec un chef constructeur, un ingénieur de la vision, un chef opérateur qui tient la caméra, toutes choses que je ne peux pas faire moi-même. Ensuite, nous avons une vraie discussion sur ce que nous voulons réaliser, et nous mettons tout en œuvre pour y parvenir.

Le fait d’être entourée de tant de personnes modifie-t-il votre perception du paysage à photographier ? Est-ce gênant ?

Je pense que la prise de vue elle-même est très différente, c’est un moment très spécifique, et assez bref. Le lien avec le paysage est quelque chose que je recherche lorsque je fais un repérage. Quand je me rends dans un endroit et que je suis seule ou avec mon assistant, nous voyons le lieu, nous y passons du temps, nous trouvons ce que nous voulons vraiment y faire. Tout se passe avant la prise de vues, pendant mes recherches et au moment où je trouve le lieu adéquat.

Que recherchiez-vous dans le paysage choisi pour cette série ? 

Arrêt sur image de Inhale Exhale, 2021. © Noémie Goudal, avec l’aimable autorisation de la galerie Les Filles du Calvaire et de l’artiste.

Pour « Phoenix », je savais exactement ce que je voulais. J’avais besoin d’une palmeraie. Mais parfois, je pars en randonnée dans la montagne à la recherche de tas d’endroits différents. J’ai une idée particulière, et je reviens avec une autre. Cela dépend vraiment du paysage.

Pourquoi une palmeraie, et quelle région du monde avez-vous choisie ?

La prise de vue a eu lieu en Espagne, mais la région n’a pas une grande importance. Ce qui m’intéresse, c’est comment mon image va parler au public, ce qu’elle va déclencher dans la conscience collective et ce qu’elle nous rappelle, plutôt que ce qu’elle est réellement ou le lieu où elle se trouve. Pour moi, les palmiers sont liés à cette exploration d’une terre éloignée de tout, et aussi très spécifique à la zone équatoriale.

Arrêt sur image de Inhale Exhale, 2021. © Noémie Goudal, avec l’aimable autorisation de la galerie Les Filles du Calvaire et de l’artiste.

Le fait de savoir que ces prises de vue ont été faites en Espagne me parait intéressant car ces images d’une région européenne plus tempérée évoquent le fossé entre la réalité et l’imaginaire collectif. 

Oui. Au départ, je devais aller au Maroc, puis j’ai opté pour l’Espagne, mais j’aurais pu le faire dans une serre, du moment qu’elle offrait cette illusion. J’ai remarqué qu’en photographie, l’idée du réel est importante, car c’est ainsi que les gens croient aux images, presque comme à un document du lieu. Quand je travaille en vidéo, j’essaie toujours de suivre un protocole, de garder une sorte de vérité dans tout ce que je fais, mais les gens avec qui je collabore et qui viennent du septième art me disent souvent : « C’est du cinéma, tu peux tout faire. » C’est pourquoi il est si stimulant pour moi d’œuvrer dans les deux disciplines.

En construisant vos images, vous créez des frontières visibles dans l’environnement naturel, qui est intrinsèquement sans frontières. C’est ce que la photographie fait tout le temps : isoler un espace en cadrant, et exclure tout ce qui l’entoure, mais nous y sommes tellement habitués que nous n’y pensons même plus, cela nous semble évident. Votre façon de photographier sort le spectateur de cette illusion, et en même temps, c’est un effort concret pour aller au-delà du cadre. 

Phoenix IV, 2021. © Noémie Goudal, avec l’aimable autorisation de la galerie Les Filles du Calvaire et de l’artiste.

C’est exact. Ce que j’essaie de faire, c’est décomposer toutes les structures, les différents niveaux d’une image, en allant au-delà de celui du tirage ou du cadre. J’essaie également de le faire dans l’espace d’exposition. Par exemple, à Arles, des cadres sont accrochés sur une espèce de grille à travers laquelle on peut voir, de sorte que les tirages ne sont pas sur le mur, mais presque autonomes.

J’essaie également d’intégrer la photographie à d’autres médias. Par exemple, des tirages de mes images apparaissent dans mes films, des plans fixes où les éléments naturels détruisent des couches photographiques. Film et photographie sont alors intrinsèquement liés, et le travail porte sur l’évolution d’une installation. Je bosse également avec des sculptures en céramique de Sèvres. J’essaie vraiment d’utiliser différents médiums, au-delà de la photographie traditionnelle.

Dans votre vidéo Below to the Deep South, qui fait partie de cette exposition, l’illusion est que le feu détruit des couches de végétation et, ce faisant, en révèle d’autres. Votre travail est en partie lié à la sensibilisation à l’environnement. Y a-t-il un message spécifique que vous aimeriez que le public retienne ?

Arrêt sur image de Below the Deep South, 2021. © Noémie Goudal, avec l’aimable autorisation de la galerie Les Filles du Calvaire et de l’artiste.

On pense à un incendie de forêt lorsqu’on voit ce film. Ce qui est juste, car cela y ressemble vraiment, mais pour moi, ce n’est pas ce dont il s’agit. Il est plus question de la découverte des énergies fossiles derrière le paysage et de ce qu’offrent toutes les strates, les unes après les autres. C’est aussi pour rappeler que la planète a créé ces trésors pendant des millions d’années, et que nous les consommons trop rapidement. La planète a 4,5 milliards d’années, le charbon dont je parle dans ce film a été produit en 72 millions d’années, et en tant qu’humains, nous comptons le temps en heures et en minutes. Ces ressources ont été produites à une époque qui correspond au temps de la planète, pas au nôtre.

Nous oublions également que la Terre est en mouvement, que les plaques tectoniques se déplacent, que les montagnes se déforment et s’érodent, mais que pour nous, tout est fixe. Nous avons nos frontières, nos territoires. Un livre l’explique très bien : Staying With the Trouble, de Donna J. Haraway. Il s’agit d’un texte philosophique plutôt que scientifique, qui traite de l’idée que la Terre est vivante. 

Arrêt sur image de Below the Deep South, 2021. © Noémie Goudal, avec l’aimable autorisation de la galerie Les Filles du Calvaire et de l’artiste.

Parallèlement, pour votre installation durant le Festival d’Avignon, vous avez collaboré avec la metteuse en scène et performeuse Maëlle Poesy. Elle se produira en direct, ajoutant ainsi à votre travail un élément humain très fort, alors que nous ne voyons normalement qu’une allusion indirecte à la présence humaine. Pouvez-vous nous en parler ? 

Pour cette œuvre, intitulée Anima, j’ai pensé à la recherche en paléoclimatologie, science qui s’intéresse à l’histoire climatique afin de prédire les climats futurs. C’est une sorte d’oscillation entre ce qu’a été le passé et ce que sera le futur. Pour illustrer ce mouvement, nous voulions que le présent soit figuré, et nous avons pensé que rien n’était plus puissant qu’une personne, une femme, pour le faire. Dans l’installation, qui est assez grande, Maëlle se suspend à la structure d’un seul bras, et se déplace très lentement, de telle sorte qu’on dirait qu’elle marche dans les airs. Son travail est si fort qu’il apparait comme l’incarnation du moment présent. 

L’exposition « Phoenix » de Noémie Goudal est présentée dans l’église des Trinitaires, dans le cadre des Rencontres de la photographie d’Arles, jusqu’au 25 septembre.

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