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Samuel Fosso, best regards

Samuel Fosso, best regards

Héritiers d’un temps suspendu, leurs images ne cessent d’enrichir l’histoire mondiale de la photographie et nos regards impatients. Souvenirs de quelques rencontres plus ou moins magiques avec ces virtuoses de l’objectif, solistes du noir & blanc ou de la couleur, artistes fidèles à l’argentique ou totalement envoûtés par le numérique. Aujourd’hui : Samuel Fosso, l’art de la multiplicité.

Il est impossible d’évoquer Samuel Fosso sans rappeler la joie qui, en décembre 1994, anima les Rencontres de Bamako, lesquelles accueillaient sa première exposition, comme celles de nombreux photographes du continent africain. Pourquoi joie – et pas stupéfaction ? Parce qu’il y avait quelque temps déjà que les deux directeurs artistiques de cette biennale, Françoise Huguier et Bernard Descamps, parlaient de l’originalité visuelle de l’Afrique qu’ils arpentaient depuis des années. Bien sûr, nous fûmes joyeux et stupéfaits, nous les journalistes, invités à apprécier les fruits de leur recherche, aussi bien au Mali qu’en Guinée ou à Madagascar. Pourquoi stupéfaits ? Parce que nous avions là, à Bamako, où naquirent Seydou Keïta et Malick Sidibé, tout à apprendre et tout à découvrir de cette « tradition d’images », comme l’écrivit Jacques Brunel dans Le Monde. Dans son compte-rendu pour Libération, Édouard Waintrop, bourlingueur cinéphile, remarqua les autoportraits de Samuel Fosso, « et son art consommé de la mise en scène ». Édouard avait aussi noté comment Samuel Fosso « complétait parfois ses photos avec des textes, dictons et maximes (“C’est là où j’ai passé une belle vie”, “Lisons dans le futur car le passé est là pour nous transformer”), [prouvant] une inventivité digne des peintres d’enseignes qui font la gloire de l’Afrique équatoriale ».

Un an passa, et à l’automne 1995, je revis Samuel Fosso. Ses autoportraits étaient exposés à Paris, au Centre National de la Photographie. J’avais envie d’en savoir un peu plus sur ce jeune homme « de nature solitaire », né le 2 janvier 1962 à Kumba (Cameroun). Lors de la guerre du Biafra, appartenant à l’ethnie Ibo, il dut fuir son village, se réfugiant longtemps dans la forêt afin d’échapper à l’armée nigériane. La suite de son histoire, celle qui lui fit choisir le métier de photographe et d’être honoré pour sa singularité, devant et derrière l’objectif, se passe à Bangui, la capitale de la République centrafricaine.

Il y ouvrit son studio, le Studio National, le 14 septembre 1975, trois ans et demi après son arrivée. Lequel avait changé plusieurs fois de noms (Studio Gentil, 1977 ; Studio Hobereau, 1979 ; Studio Convenance, 1982 ) lorsque Bernard Descamps le rencontra in situ en février 1994. « Un studio classique », note le photographe français, « avec des grosses cuvettes qui servent de réflecteur, et un fond peint, assez désuet, qui représente une ville moderne et qui sert, à l’occasion, pour les portraits. J’ai appris, plus tard, qu’un ami de Samuel s’était inspiré d’une carte postale reçue de Roumanie… Le décor, en fait, est une interprétation de Bucarest ! » Ce qui intéresse Descamps, alors en préparation de la première édition des Rencontres de Bamako, c’est le travail personnel de Samuel Fosso. Qui lui montre quelques autoportraits réalisés depuis vingt ans « pour finir les pellicules de [ses] clients ». Ce sont ces autoportraits qui le rendirent célèbre à Bamako. Sans oublier son style si particulier, mélange de simplicité et d’autocélébration : « Tout le monde se sent beau, mais moi, je sais que je suis beau. » Des œuvres de jeunesse, dit-on aujourd’hui, pourtant riches d’un savoir-faire et d’une intuition artistique. Descamps : « C’est un type adorable, d’un raffinement incroyable. »

Le Candide africain ne se contente pas de se reproduire, ou d’imiter les chanteurs américains, comme il l’expliquera plus tard : « J’utilise mon corps pour divertir, pour dire que chacun peut faire ce qu’il veut. Le monde n’a pas été construit pour un seul modèle. Mon grand-père aurait souhaité que je devienne guérisseur, comme lui, mais quand il est mort, en 1971, j’étais trop jeune pour reprendre le flambeau. Avec la photographie, je communique mes pensées. »

Médium donc, littéralement, avec le désir d’endosser de multiples identités, qu’il développera en direct lors des « journées Tati », à l’automne 1997. Un exercice jubilatoire. Tandis que ses aînés, Seydou Keïta et Malick Sidibé fixent des anonymes sous une tente-studio installée près du métro Barbès-Rochechouart, à Paris, il se transforme à souhait, comme surgi d’un film de Wes Anderson : le voici en marin, en pirate, en footballeur, en rocker et même en femme fatale. « Son style c’est lui-même. Il a inventé sa propre réflexion », conclura Malick Sidibé, émerveillé. 

Suivront d’autres dédoublements et d’autres artifices, comme s’il voulait en finir avec les clichés. Sur lui et son ingénuité, sur les Africains et « ceux qui nous observent de loin (…) et nous critiquent comme au temps colonial », sur la mémoire visuelle postcoloniale. Surviennent les séries où il se met dans l’ombre et se confronte à l’histoire.2000, « Mémoire d’un ami », un hommage à Tala, un ami sénégalais, tué par des militaires centrafricains. 2003, « Le rêve de mon grand-père », Agwu Okoro, qui l’a guéri d’une paralysie partielle lorsqu’il avait 4 ans : « Je suis son premier descendant, il m’adorait, il faisait tout pour moi. » 2008, « African Spirits »,où il incarne Angela Davis et Martin Luther King, Patrice Lumumba et Nelson Mandela… « Je porte la vie des autres, ce n’est pas du déguisement, c’est l’histoire du malheur et de la souffrance. J’ai voulu commémorer ceux qui ont lutté pour les droits des Noirs, ceux qui ont eu le courage d’affronter l’avenir. Je l’ai fait pour que leur image ne soit pas oubliée, et qu’ils entrent dans l’histoire visuelle de l’Afrique à travers ma propre image. » Ces séries, réunies dans une monographie éditée par Revue Noire et La Fábrica, sont actuellement exposées à la Maison Européenne de la Photographie, à Paris, ainsi que sa toute dernière, SIXSIXSIX (2015-2016), inventaire d’élans émotionnels en 666 Polaroids.

Samuel Fosso est désormais un artiste reconnu. Mais, pour moi, il est aussi ce jeune homme épris « de paix et de tranquillité », qui posa en lunettes noires et tenue pop. C’était donc en octobre 1997, à Paris, au 42, boulevard Rochechouart. Avec mon petit Yashica, je l’ai photographié assis sur une chaise qui appartenait au décor mis en place par les magasins Tati. Un souvenir ineffaçable.

Samuel Fosso, Paris, 1997 © Brigitte Ollier / best regards

Par Brigitte Ollier

Brigitte Ollier est une journaliste basée à Paris. Elle a travaillé durant plus de 30 ans au journal Libération, où elle a créé la rubrique « Photographie », et elle a écrit plusieurs livres sur quelques photographes mémorables.

L’exposition « Samuel Fosso » est à voir à la Maison Européenne de la Photographie, jusqu’au 13 mars 2022. Avec un catalogue, Samuel Fosso, Autoportrait, édité par Steidl.

Samuel Fosso, photographies, Revue Noire et La Fábrica, 108 pp., 15 €. Sous la direction de Simon Najmi.

Les Rencontres de Bamako 2022.
Site de Bernard Descamps.

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