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L’Algérie en mouvement de Bruno Boudjelal

L’Algérie en mouvement de Bruno Boudjelal

L’exposition « Détours-Retour : Les voyages en Algérie 1993-2013 » revient sur vingt ans de l’Algérie de Bruno Boudjelal.

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© Bruno Boudjelal

27 avril 1993, Bruno Boudjelal écrit dans son carnet : « Dans quelques jours, je vais en Algérie. J’ai l’intention d’y effectuer une traversée du pays, d’est en ouest et d’y retrouver ma famille. Mon père est algérien et ma mère est française mais je ne connais rien de cette famille là-bas, mon père ayant toujours refusé de me parler d’où il venait. » Bruno Boudjelal a plus de 30 ans, il est guide de voyage en Asie du Sud-Est, il ne s’est jamais rendu en Algérie. Il n’est pas non plus photographe. L’Algérie vit ce qu’on appelle : la décennie noire, une guerre civile qui oppose le gouvernement algérien et différents groupes islamistes. Bruno Boudjelal n’est alors conscient de rien, il n’a qu’un seul but, qu’une seule obsession : « je veux rencontrer la famille » dit-il.

Trois jours avant son départ, il a rendez-vous avec son père qui ne vient pas. Il l’appelle, il lui annonce son voyage, ce à quoi son père lui répond : « Je t’interdis d’aller là-bas, je ne veux pas que tu mettes les pieds sur ce sol. Sur ce territoire. Et en plus, ce n’est pas ton histoire. » S’ensuit une dispute où le fils finit par répondre au père : « J’y vais quand même, c’est aussi mon histoire. » Le lendemain, un ami vient voir Bruno Boudjelal un appareil à la main et lui conseille de photographier durant son séjour. Bruno, surpris, rejette d’abord la proposition puis se résout à prendre l’appareil photo avec lui. Il part donc en Algérie qui est en pleine guerre civile, sur les traces de sa famille, avec un appareil à la main et « le guide bleu » dans une poche. Un parfait touriste.

© Bruno Boudjelal
© Bruno Boudjelal

En l’espace d’une journée en Algérie, il se fera suivre dans la casbah d’Alger, tabasser par un groupe d’hommes, voler son objectif d’appareil, embarquer par la police, se traînant dans la ville la chemise déchirée et en sang. Bruno Boudjelal découvre la réalité du pays, de son pays. Ses connaissances qui l’accueillent lui conseillent de repartir mais il n’en démord pas, il veut rejoindre le village de son père et en traversant les chemins les plus sinueux. Il s’embarque dans un périple d’une dizaine de jours jusqu’à arriver là où il le voulait. Dans un coin perdu en Algérie. Parmi les siens. Lors de ce premier voyage, il prendra des photos, quelques photos qui finiront par être publiées par Libération, Le Monde, Le Monde Diplomatique, The Observer

L’agence Sipa l’engage mais au bout d’un an il s’ennuie, il arrête. Il redevient guide de voyage en Asie du Sud-Est mais il se blesse au poignet. Il est contraint de revenir en France et l’Algérie l’appelle de nouveau. « Mon père voulait qu’on fasse le voyage ensemble. » Se pose la question pour Bruno Boudjelal de prendre un appareil photo ou non, la réponse lui vient autour d’un repas avec un couple d’amis et leur fille. Ils mangeaient McDonald’s et la fille avait reçu dans son happy meal, un cadeau : un petit appareil photo en plastique. « Je lui demande de me prêter son appareil, elle accepte en échange d’une photo. » Bruno Boudjelal embarque « ce jouet » avec lui avec lequel il photographiera comme il voudra, n’attisant jamais les regards ni les suspicions dans un pays où photographier est très mal vu, voire risqué. Encore une fois, à son retour d’Algérie, il publie ses images dans plusieurs journaux. Commence ici sa carrière de photographe dans laquelle l’Algérie jouera un rôle-clé.

© Bruno Boudjelal
© Bruno Boudjelal

Dans l’exposition « Détours-Retour : Les voyages en Algérie 1993-2013 » mise en place à l’Arsenal, la galerie d’exposition de la cité musicale de Metz, vingt ans de l’Algérie de Bruno Boudjelal s’offrent à notre regard. Une Algérie devenue terre d’images et d’histoires pour Bruno Boudjelal. Il a photographié sa famille, traversé le pays d’est en ouest, capturé les paysages du départ. Se devine une Algérie presque volée par l’appareil du photographe, une Algérie floue, souvent incandescente « la forme de ma photographie est liée aux conditions dans lesquelles je me suis retrouvé, ce n’était pas un choix formel de ma part. Ma photographie parle d’un échec, de l’impossibilité de photographier autrement que comme je l’ai fait » Un échec qui a du sens. « La forme de ma photographie parle de la non-pratique de la photographie en Algérie à cette époque-là. » 

Le photographe trace, c’est ainsi qu’il photographie les lieux qui ne sont pas ceux de son quotidien. Tracer lui permet aussi d’éviter les problèmes. « Ma photographie est une photographie en mouvement. » L’exposition s’arrête en 2013 soit six ans avant le début du Hirak algérien. Quand on lui demande pourquoi, lui qui est tant attaché à ce pays, il n’y a aucune évocation de ce soulèvement populaire, Bruno Boudjelal répond : « J’étais en Algérie à ce moment-là mais je travaillais sur une série sur les lieux de massacres. Il aurait été trop risqué de participer à la révolution et de poursuivre mon projet. » Révolution et devoir de mémoire vont généralement de pair. Il n’y a pas de révolution réussie sans questionner le passé. Tandis que certains manifestent, d’autres creusent afin de fixer les nouveaux piliers du pays à venir. Bruno Boudjelal a seulement adapté son rythme.

Par Sabyl Ghoussoub

Né à Paris en 1988 dans une famille libanaise, Sabyl Ghoussoub est un écrivain, chroniqueur et commissaire d’exposition. Son deuxième roman Beyrouth entre parenthèses est sorti aux éditions de l’Antilope en août 2020.

« Détours-Retour Les voyages en Algérie 1993-2013 », Bruno Boudjelal, Arsenal, Galerie d’exposition, Cité musicale de Metz, jusqu’au 20 février 2022.

© Bruno Boudjelal

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