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Sauvons Laura Rubin

La photographe qui a permis à une génération de ne pas tomber dans l’oubli a, à présent, elle-même besoin d’aide.

« Il faut savoir que ces gens, pour la plupart, n’avaient jamais été photographiésPersonne d’autre n’avait jamais voulu le faire »

Penny Arcade

Arcade, la performeuse légendaire de New York, a été photographiée pour la première fois par l’artiste Laura Rubin dans les années 1960. Rubin, dont le travail est présent dans les collections du Andy Warhol Museum à Pittsburgh et du Jewish Museum à New York, et a été exposé au Guggenheim. Mais dans les années 1960, cette culture était encore marginale, celle d’un groupe de jeunes n’obéissant qu’à leurs propres règles, peu soucieux de s’intégrer à la culture mainstream – qui les aurait, de toute manière, rejetés.

Dans les années 1960, Laura Rubin est une photographe de rue du Lower East Side lorsqu’elle découvre par hasard le La MaMa Experimental Theatre Club, un bastion du théâtre avant-gardiste situé dans l’East Village. C’est là qu’elle rencontre Penny, avant que la performeuse n’apparaisse dans les films de Warhol ou de Mario Montez, un dragster célèbre qui était déjà une star de Warhol. Elle organisera plus tard une séance photo avec eux.

Après Penny, d’autres membres de ce cercle avant-gardiste ont suivi : Candy Darling, Andrea « Whips » Feldman, Holly Woodlawn. « Avec Peter Hujar et Leee Black Childers, [Rubin] a été l’une des toutes premières à photographier des personnes non binaires avec dignité », salue Penny Arcade. Hujar est gravé dans notre mémoire culturelle pour ses portraits élégants de la communauté LGBTQ+ de New York et de la vie nocturne queer, en grande partie grâce à la qualité d’archivage de son travail et aux galeries le représentant. Childers, décédé en 2014, était l’assistant d’Andy Warhol, et son propre travail a été exposé et publié dans le monde entier.

Penny Close Up © Laura Rubin
Penny Close Up © Laura Rubin

« J’avais une relation magique avec mes sujets »

Mais Laura Rubin reste largement méconnue. Il y a 5 ans, plusieurs complications médicales l’empêchent de travailler et sans économies ni sécurité sociale, elle peine à payer ses factures. Elle contacte alors Penny Arcade, qui avait collecté des fonds pour les soins de Holly Woodlawn. « Elle n’avait tout simplement pas de quoi se nourrir, de payer son loyer ni d’acheter des médicaments », témoigne Arcade. Ainsi, chaque mois et ce depuis 5 ans, Penny Arcade collecte des fonds via GoFundMe pour assurer la subsistance de Rubin. Elle a depuis recueilli près de 100 000 dollars, et la collecte continue encore aujourd’hui.

Pour aider au financement, Arcade vend les tirages de Rubin en son nom. Le Andy Warhol Museum a gracieusement autorisé l’utilisation de scans de négatifs dont Rubin leur avait fait don pour faire les tirages, désormais disponibles à l’achat pour 200 $ aux États-Unis et 250 $ s’ils sont expédiés ailleurs. Suite au lancement de cette campagne GoFundMe, Laura Rubin a même fait son apparition dans la série American Horror Story ou dans le documentaire de Martin Scorsese sur le musicien David Johansen, intitulé Personality Crisis. Elle figure aussi dans la biographie de Candy Darling écrite par Cynthia Carr, Candy Darling : Dreamer, Icon, Superstar, à paraître en mars 2024.

Mario Close Up © Laura Rubin
Mario Close Up © Laura Rubin
Holly Close Up © Laura Rubin
Holly Close Up © Laura Rubin
Penny and Paul the Dancer © Laura Rubin
Penny et Paul le danceur © Laura Rubin

Les tirages en noir et blanc de Rubin sont époustouflants. Commandés par Arcade et Steve Zehentner collaboratrice artistique de longue date, ils sont réalisés à New York par un laboratoire professionnel et invitent le spectateur à pénétrer dans la vie non seulement d’artistes emblématiques tels que Darling et Woodlawn, mais aussi de Rubin elle-même. « Les meilleures photos sont spontanées », affirme Rubin. « J’avais une relation magique avec mes sujets, nous étions sur la même longueur d’onde. »

Sur une plage, les mèches blondes de Candy Darling flottent au vent. Holly Woodlawn virevolte dans ses plumes, ses sourcils exubérants à la Marlene Dietrich. Mario Montez resplendit en déesse parée de bijoux sous une perruque aux boucles sombres. Penny ressemble à une apparition, dans le tourbillon de ses cheveux noirs, avec ses yeux sombres et ses lèvres boudeuses.

Et les récits de Rubin sur la manière dont les images ont été réalisées sont tout aussi vibrants que les images elles-mêmes : « Candy Darling m’a été officiellement présentée par [le cinéaste] Jeremiah Newton. Il voulait des photos d’elle, bien que ce soit lui qui m’intéressait », raconte-elle. « Nous sommes allés à la plage et je l’ai photographiée dans plusieurs tenues. Elle se changeait dans une épicerie, ce qui n’a pas manqué d’attirer l’attention ! Une starlette blonde, sortant des toilettes dans une robe de soirée pailletée… »

« Les portraits de drag queens étaient mis à l’écart, même si la plupart des photos représentaient des artistes de la contre-culture. Aucun éditeur n’aurait publié ce travail, c’était interdit »

Laura Rubin

« J’ai rencontré Holly Woodlawn en 1970 au Max’s Kansas City. Elle aimait les photos de Mario. Nous habitions au centre-ville, nous étions voisines, et c’est chez elle que l’on travaillait », raconte encore Rubin. « Elle avait peint sa signature à la bombe sur le mur, et dans les mains, elle avait un numéro du périodique ‘Gay Power’ comme accessoire. »

Holly Gay Power © Laura Rubin
Holly Gay Power © Laura Rubin

« Mario m’a permis de photographier tout le processus de transformation d’un homme en femme », écrit-elle. Les galeristes et les magazines ne voulaient pas non plus de ce genre d’images. « Les portraits de drag queens étaient mis à l’écart, même si la plupart des photos représentaient des artistes de la contre-culture. Aucun éditeur n’aurait publié ce travail, c’était interdit. »

Vaincre l’oubli

Le produit de la vente des images de Rubin via le GoFundMe d’Arcade lui permet de rester chez elle, de se nourrir et d’acheter des médicaments. L’argent lui est versé directement. Sa santé continue de décliner. « Elle m’a dit qu’elle voulait mourir dans son lit », rapporte Arcade. « Je pense que c’est une requête raisonnable. »

« Ses tirages intéressent bon nombre de gens, car les sujets qu’elle a photographiés étaient vraiment authentiques », explique Arcade, considérant l’œuvre de Rubin à la fois comme de l’art et un témoignage documentaire sur une époque. « On a l’impression que les seuls artistes qui travaillaient sur le sujet dans les années 1980 étaient David Wojoronwicz et quelques autres. Mais cela n’est pas vraiment représentatif de l’époque. Même chose sur la scène des années 1960, surtout dans l’entourage de Warhol. Donc, je pense que c’est non seulement un magnifique travail photographique, mais qu’il préserve une histoire culturelle qui risquerait de tomber dans l’oubli. »

Faites un don pour les soins de Laura Rubin et achetez des tirages via le GoFundMe de Penny Arcade ici.

Candy Close Up © Laura Rubin
Candy Close Up © Laura Rubin

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