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Un regard sur l’appartenance raciale et la masculinité aux Etats-Unis

Un regard sur l’appartenance raciale et la masculinité aux Etats-Unis

Dans son premier livre, Black Like Paul, Alex Christopher Williams publie des images où l’intimité et la vulnérabilité se font jour à travers le prisme de la race et du genre.
© Alex Christopher Williams

« Mon père est “devenu” noir lorsque j’étais en sixième », se souvient le photographe américain Alex Christopher Williams. Né d’une mère blanche et d’un père noir, Williams, qui se considère blanc, a été élevé par sa mère dans le quartier blanc d’une banlieue de l’Ohio. Son père, Paul, qui a 21 ans à la naissance de Williams, accompagne la classe de sixième de son fils lors d’une excursion à Washington. « Mon père était beaucoup plus jeune que la plupart des autres parents, il était donc beaucoup plus cool et compréhensif avec nous », raconte le photographe. « Mes amis et tous ceux de ma classe communiquaient facilement avec lui, et soudain, je suis devenu quelqu’un de cool parce que j’avais un père noir – comme s’il était un accessoire, un sac Gucci. »

Quand la mère d’Alex Christopher Williams se remarie alors qu’il a à peine 13 ans, la famille déménage dans le Mississippi. « J’ai eu la chance que mon grand-père maternel me prenne à part, un jour, et me dise : “Tiens toi prêt. Prépare-toi.” Je n’avais aucune idée de ce dont il parlait », se souvient-il. Élevé dans une « culture normative blanche », il apprend donc à changer de codes, évoluant avec aisance au sein de groupes d’amis blancs, mentionnant rarement l’identité de son père. Les rares fois où il le fait, il se heurte à leurs préjugés raciaux.

© Alex Christopher Williams

« Quand je vivais dans le Mississippi, mes amis n’ont jamais rencontré mon père, mais ils reconnaissaient en moi certains traits de ce qu’ils savaient de la culture noire, et le soulignaient », se souvient Alex Christopher Williams. « Nous avions formé un groupe, et nous avons fini par être connectés. Je m’excitais, je bondissais en hurlant, et ils commentaient : “C’est le Noir qui se déchaîne”. Et quand ils disaient des choses du genre : “Impossible qu’Alex soit noir”, ils n’y croyaient pas eux-mêmes. »

Les quatre murs de l’image

Williams vient à la photographie à l’adolescence, et la décrit comme « la confiture sur la tartine de beurre de cacahuète de tous mes autres centres d’intérêt ». Pratiquant le BMX, Alex Christopher Williams dévore les magazines de sport, et réalise très vite que la photographie est un langage en soi. Passionné par le punk, il photographie des concerts, et couvre les tournées de son propre groupe.

© Alex Christopher Williams

Aujourd’hui, le photographe a 31 ans. Il a déjà déménagé 41 fois. La photographie est ainsi devenue une force stabilisatrice. « J’ai eu de nombreux problèmes de santé non diagnostiqués, dont l’un fait empirer ma mémoire, qui était déjà très mauvaise », dit-il. « J’ai réalisé qu’il y avait une relation intrinsèque entre les quatre murs qui délimitent une photographie et un souvenir. Même si je ne crois plus, depuis longtemps, à l’idée que les photographies sont des documents, j’en prenais [pour préserver mes souvenirs]. »

En 2011, alors qu’il fréquente le Savannah College of Art and Design, Alex Christopher Williams se lance dans le documentaire social, et réalise que l’appareil photo peut être un instrument pour tisser des liens avec ses parents. Il lui est difficile de travailler en profondeur, en raison de la distance qui les sépare, mais ces déplacements lui ouvrent la voie. En 2012, sur les routes de la Grande migration afro-américaine, il photographie différentes communautés et s’interroge sur son héritage, ainsi que sur les moyens d’apporter un témoignage cohérent sur la vie des Noirs.

L’image du père

© Alex Christopher Williams

A Atlanta, durant l’été 2015, Alex Christopher Williams rencontre un homme âgé et vêtu d’un costume,  qui se désaltère à une fontaine publique. « J’ai voulu savoir pourquoi il portait un costume en août, avec 100% d’humidité dans l’air », dit-il. « Il m’a répondu qu’il voulait montrer l’exemple à ses enfants, leur montrer comment être un homme et se faire respecter. Qu’est-ce que j’aurais aimé avoir une telle figure paternelle ! »

En regardant cette image, le photographe comprend alors que la photographie lui permet d’explorer la masculinité, la race, l’histoire et la famille, thématiques avec lesquelles ils étaient aux prises depuis toujours. Ce moment constitue un tournant majeur dans son travail. C’est à partir de là qu’il réalise son livre Black, Like Paul (Kris Graves Projects).

© Alex Christopher Williams

Avec un appareil grand format, Alex Christopher Williams réalise des images paisibles et intenses des gens et des paysages. Il revendique le pouvoir, l’innocence et la vulnérabilité des hommes et des jeunes garçons noirs, idée toujours aussi vive dans son esprit. « J’ai eu une enfance difficile, et les décisions que j’ai prises sont liées à ces traumatismes », dit-il. « Jeune, j’ai dû me frayer un chemin dans ce monde et je pense que c’est ce qui me pousse à rechercher l’apaisement. Je veux créer des œuvres d’art qui reflètent cette façon de voir les choses. »

La grande famille des hommes

Le choix de l’appareil grand format compte beaucoup dans la démarche de Alex Christopher Williams. « Quand on prend des photos dans la rue, il faut avoir une certaine autorité, et lorsqu’on dit : ‘je suis artiste’, c’est un grand pas de fait. Si tu travailles dans l’immobilier, et que tu viens prendre des photos pour changer le visage du quartier, tu risques de ne pas être le bienvenu. Tu peux aussi être un réalisateur de film et dans ce cas, tous les enfants viennent à ta rencontre pour être photographiés. Quoiqu’il en soit, il faut entrer en dialogue avec les gens.»

© Alex Christopher Williams

Dans la lignée des idées véhiculées par la mythique exposition « The Family of Man » d’Edward Steichen, les images d’Alex Christopher Williams donnent le sentiment que la photographie peut nous connecter à travers le temps et l’espace, et nous faire réfléchir aux traits d’humanité que nous avons tous en commun. « Si le visage humain est le ‘chef-d’œuvre de Dieu’, alors il est, ici, présent de mille manières », écrit le poète Carl Sandburg, en ouverture du livre de Steichen, et ces propos illustreraient magnifiquement le travail de Williams. « Souvent, les visages expriment ce que les mots ne peuvent dire. Certains parlent d’éternité, d’autres de frivolités à la mode. Les sourires qui fleurissent sur les visages des enfants, les bouches qui crient la faim, sont suivis de visages majestueux de modestie, pétris d’amour, de dévotion et d’espoir, ou encore, ces autres visages, aussi légers et insouciants que les duvets de chardons qui s’envolent, à la fin de l’été…Certains méritent qu’on s’y arrête longuement pour ne les contempler pleinement que plus tard. »

Par Miss Rosen

Miss Rosen est une journaliste basée à New York. Elle écrit sur l’art, la photographie et la culture. Son travail a été publié dans des livres, des magazines, notamment TimeVogueAperture, et Vice.

Black, Like Paul, Ed. Kris Graves Projects, 28 $. Disponible ici.

© Alex Christopher Williams
© Alex Christopher Williams
© Alex Christopher Williams

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