
Dès la première page, le titre en zoulou donne le ton de ce livre grand format. Il résonne comme une affirmation identitaire. La lionne noire, c’est Zanele Muholi, qui nous donne à voir 96 autoportraits réalisés chez elle, en Afrique du Sud, et partout dans le monde où son activité d’artiste l’a conduite depuis six ans : Amsterdam, Berlin, Cincinnati, Kyoto, Mayotte, New York, Oslo, Paris…
Née en 1972, Zanele Muholi se définit comme une « activiste visuelle ». Ses motifs d’engagement sont l’homophobie et la haine raciale. En 2002, à 30 ans, elle commence une toute nouvelle vie en suivant les cours du Market Photo Workshop, école fondée par le photographe sud-africain David Goldblatt pour les jeunes des quartiers défavorisés de Johannesburg. « La photographie m’a sauvé la vie. C’est la seule chose qui a du sens pour moi », explique Zanele Muholi dans le long entretien à lire dans le livre qui réunit également les textes d’une vingtaine d’écrivaines et d’universitaires du monde entier.
Travail artistique et engagement humanitaire
Parallèlement à sa pratique artistique, elle cofonde le Forum for the Empowerment of Women (FEW) et en 2009 crée Inkanyiso, une association au service de la communauté LGBTI dont l’action se résume ainsi : « Produire – Éduquer – Diffuser ».


Maintes fois primé et exposé dans les plus prestigieuses institutions internationales, le travail artistique de Zanele Muholi se confond avec son engagement, ce qui est rare de nos jours. Tout en continuant à tourner son objectif vers les autres pour des projets réalisés sur le long terme, comme « Faces and Phases » réunissant à ce jour plus de 300 portraits de femmes noires lesbiennes sud-africaines, Zanele Muholi poursuit cette série d’autoportraits : « Exposer une autre personne serait trop difficile », précise-t-elle.
Zanele Muholi, l’autoportrait comme objet
Dans ce travail, elle utilise son corps à la fois comme objet et sujet pour décliner des représentations de la femme noire. Elle y incarne des personnages historiques, imaginaires ou inspirés par des expériences personnelles ou par ses proches.
A commencer par sa mère, Bester, qui fut femme de ménage sa vie durant. Pour la représenter, Zanele Muholi apparaît affublée de pinces à linge, tampons à récurer et autres ustensiles ménagers.
Ailleurs, elle utilise des tuyaux usagés, des pneus, des menottes, des serre-câbles ou encore des fils électriques. Autant d’objets symboliques de l’asservissement et de la répression dont sont victimes ses semblables.


Si certains accessoires pourraient prêter à sourire, son visage ténébreux nous en coupe l’envie. Car Zanele Muholi joue aussi sur la noirceur de sa peau et le rendu des aspérités de sa chair, privilégiant le plus souvent des plans en buste où son regard fixe l’objectif.
Jamais elle ne sourit car son propos est grave et inquisiteur. Même si la dimension esthétique est indéniable, « […] il ne s’agit pas uniquement de beauté dans les photos de Somnyama, mais de déclarations politiques », dit-elle. Autoportrait après autoportrait, le visage de Zanele Muholi finit par nous obséder, pour bien devenir un symbole.
Par Sophie Bernard
Sophie Bernard est une journaliste spécialisée en photographie, contributrice pour La Gazette de Drouot ou le Quotidien de l’Art, commissaire d’exposition et enseignante à l’EFET, à Paris.
Somnyama Ngonyama − Salut à toi, Lionne noire !, 212 pages, 96 illustrations imprimées en 3 tons, éditions Delpire & Co (édition originale : Aperture Foundation, 2018), 72 €. Disponible ici.


