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Être kolbar ou cueillir des grenades, le destin des kurdes iraniens

Être kolbar ou cueillir des grenades, le destin des kurdes iraniens

Le photographe Antoine Béguier a réalisé une série photographique dans le Kurdistan iranien à la rencontre des passeurs et des cueilleurs de grenade.
© Antoine Béguier

En novembre 2019, alors que le photographe Antoine Béguier est en Iran, dans ce pays où il avait l’habitude de voyager au moins un fois par un avant le Covid, il décide de se rendre dans le Kurdistan iranien, une région aussi appelée Rohjelat, au Nord-ouest du pays. « J’y suis allé en dernière minute, sans possibilité de me documenter. De toute façon, on trouve très peu d’information fiable sur cette région. Je m’intéresse généralement aux personnes et aux communautés isolées dans des zones géographiques très peu médiatisés. Le Kurdistan, on en entend parler quand il y a des tensions sinon, plus rien. Et le Kurdistan iranien, c’est simple : on n’en parle jamais. » Dans cette zone montagneuse et au climat sec et aride, à la frontière de l’Irak et de la Turquie, vivent les Kurdes d’Iran.  

© Antoine Béguier

Entre pauvreté et isolement, le Kurdistan iranien peine à survivre. Face au chômage (le taux le plus important d’Iran) et à la précarité (la partie la plus pauvre de l’aire géographique et culturelle kurde), ses habitants n’ont que deux options : survivre par la culture de la grenade ou devenir passeur, au péril de leur vie. « La première chose qui m’a frappé, c’est cette dualité. Soit tu es cueilleur de grenade – tu vis dans la légalité mais de presque rien – soit tu es passeur, kolbar (terme qui signifie “qui porte sur son dos”) – tu vis dans l’illégalité au risque de te faire tuer par les gardes-frontières mais tu gagnes plus d’argent », raconte Antoine Béguier. Les Kurdes iraniens subissent, comme le reste du pays, les différents embargos américains mais sont aussi ostracisés par le régime iranien. Ils vivent en quelque sorte une double peine, « ce sont des parias ».

© Antoine Béguier
© Antoine Béguier

« Tout le monde a au moins un passeur dans sa famille et il y a des passeurs de tous les âges, j’ai même vu un homme très âgé qui portait un frigo sur son dos, je me demandais comment c’était possible physiquementc », poursuit le photographe. Être passeur c’est passer de l’Irak à l’Iran, c’est éviter les checkpoints de l’armée dans les montagnes, c’est une traversée de deux, trois jours avec sur son dos ou parfois aidé par des chevaux « des pneus, des cigarettes, de l’alcool, des téléphones portables, de l’électroménager, des vêtements ». Une fois la traversée effectuée, des gens motorisés que l’on appelle les kasibkars viennent récupérer la marchandise. Eux roulent généralement de nuit, à toute allure, sur des routes aux précipices menaçants et aux virages serrés. « Les produits sont ensuite vendus dans les marchés du Kurdistan iranien ou même parfois à Téhéran. »

© Antoine Béguier
© Antoine Béguier

D’autres Kurdes préfèreront eux toujours cueillir des grenades. Travail ingrat, ce fruit à la couleur rouge vif se récolte à la main, à l’aide d’un bâton crocheté. La cueillette s’effectue au mois d’octobre, lorsque les grenades commencent à prendre une teinte jaune. Nouraldin, un jeune cueilleur, a confessé au photographe : « Je préfère me tuer à ramasser des grenades que de me faire tirer dessus. » Tandis que d’autres dans sa famille sont passeurs ou souhaiteraient l’être pour s’enrichir. « Plus d’une centaine de kolbars sont tués chaque année par les gardes-frontières qui n’hésitent pas à tirer sur les passeurs et/ou sur leurs chevaux », assure Antoine Béguier. Certains jeunes Kurdes parviennent à étudier à Téhéran ou même à l’étranger, « mais ils finissent souvent par revenir vivre ici alors qu’il n’y a pas de travail pour eux ». Malgré la rudesse de la vie, la jeunesse kurde reste attachée à leur territoire, à leur patrimoine, à leur culture dont les anciens leur ont transmis l’importance.

Par Sabyl Ghoussoub

Né à Paris en 1988 dans une famille libanaise, Sabyl Ghoussoub est un écrivain, chroniqueur et commissaire d’exposition. Son deuxième roman Beyrouth entre parenthèses est sorti aux éditions de l’Antilope en août 2020.

Plus d’informations sur Antoine Béguier sur son site web.

© Antoine Béguier
© Antoine Béguier

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