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Sabyl Ghoussoub : « Gabriele Basilico a cerné Beyrouth »

À l’occasion de l’exposition à Toulouse « Retours à Beyrouth » sur le travail du photographe Gabriele Basilico, l’écrivain et journaliste franco-libanais Sabyl Ghoussoub, auteur du roman Beyrouth-sur-Seine, prix Goncourt des lycéens 2022, évoque à travers ces photos ses souvenirs de la capitale libanaise.

Durant près de vingt ans, Gabriele Basilico a posé son regard de photographe sur l’âme de Beyrouth. L’exposition « Retours à Beyrouth », à la galerie du Château d’Eau de Toulouse, présente pour la première fois une rétrospective des quatre missions photographiques effectuées par le photographe italien en 1991, 2003, 2008 et 2011. 

Un hommage à l’artiste fasciné par l’architecture des villes modernes, décédé en 2013 et qui a noué un lien profond avec la capitale libanaise depuis sa première venue en 1991. 

Gabriele Basilico fait alors partie à l’époque d’une campagne documentaire sur le centre-ville de Beyrouth marqué par la longue guerre civile commencée quinze ans plus tôt, en 1975. Une campagne imaginée par l’écrivaine libanaise Dominique Eddé et financée par la Fondation Hariri. Y participent alors René Burri, Raymond Depardon, Fouad Elkoury, Robert Frank, Josef Koudelka et donc Gabriele Basilico.

« Il ne s’agissait pas de faire un reportage sur les ruines, mais de composer un « état des choses » confié à une interprétation libre et personnelle […] une ville blessée, outragée, nécessite une sensibilité particulière, exige une attention spéciale, une participation mais aussi du respect », déclare le photographe lors de son retour de mission à Beyrouth, en mars 2012.

1991 - Beyrouth. © Gabriele Basilico
1991 – Beyrouth. © Gabriele Basilico

Lorsqu’il revient au milieu de ces rues, de ces immeubles, de ces places, Gabriele Basilico témoigne de la métamorphose urbaine de la ville « comme si je revenais après un temps immémorial, un temps hors du temps qui contient un peu de l’histoire du monde, la mémoire d’un monde coulé dans la réalité physique d’un lieu », décrit-il dans le livre Gabriele Basilico. Ritorni a Beirut.  

Ces photos de la ville meurtrie, en métamorphose constante, ont été marquantes pour toute une génération dont fait partie le franco-libanais Sabyl Ghoussoub. L’écrivain et journaliste, né à Paris, a obtenu le prix Goncourt des lycéens pour son roman Beyrouth-sur-Seine (éditions Stock), un tendre hommage, émouvant et drôle, à ses parents libanais installés à Paris après avoir fui la guerre civile. 

Contributeur pour Blind, Sabyl Ghoussoub, « né à Beyrouth dans une rue à Paris », revient ici sur ses souvenirs de la capitale que les images de Gabriele Basilico font resurgir.

Connaissiez-vous le travail de Gabriele Basilico ? 

Je connaissais ses images et en particulier celles de 1991 prises lors de la mission photographique commissionnée par Dominique Eddé pour photographier la ville à la fin de la guerre (1975-1991). 

Ces séries ont été marquantes pour les gens de ma génération. Je me considère comme un petit enfant de la guerre, je suis né en 1988 et ce Beyrouth entièrement détruit, je ne le connais qu’à travers des images. Mes souvenirs de ces années-là sont trop vagues.

Ces photographies de Gabriele Basilico, je les trouve belles, ce qui m’a toujours perturbé. Trouver de la beauté dans un paysage qui a brisé la vie de mes parents, de mes proches, de ce pays a quelque chose de dérangeant mais c’est peut-être là le miracle de l’art, de la photographie, de perturber nos émotions.

1991 - Beyrouth. © Gabriele Basilico
1991 – Beyrouth. © Gabriele Basilico

Les premières images sont celles de 1991, d’une ville meurtrie, jusqu’en 2011 et sa modernisation. A quoi ressemble le Beyrouth de 2023 ? 

Parler de Beyrouth en 2023, c’est évoquer la double explosion du port qui a ravagé une partie de la ville (4 août 2020). Certains quartiers étaient devenus méconnaissables, la vision du port était apocalyptique, c’était le néant, le vide, la mort, un paysage que je ne souhaite à personne de voir. 

Lors de mon dernier séjour il y a quelques semaines, j’ai aussi réalisé que la ville que j’avais connue, dans laquelle j’avais vécu (et je ne parle pas des années 1970 mais bien de Beyrouth dans les années 2010) a déjà disparu.

« Le Beyrouth que j’ai connu n’existe plus »

La plupart des galeries, des bars, des cinémas, des théâtres, des restaurants dans lesquels j’évoluais n’existent plus. Je peux déjà dire à l’âge de 34 ans la même phrase que mes parents, « le Beyrouth que j’ai connu n’existe plus ». C’est troublant. La poétesse Etel Adnan disait que l’exil c’est aussi ça, de ne plus reconnaître sa propre ville, ses propres rues.

Depuis 2019, il y a eu une révolution, une crise économique qui perdure et la double explosion du port, tous ces évènements ont changé le visage de la ville. Beyrouth nous échappe toujours, c’est un fait qu’il faut accepter.

2008 - Beyrouth. © Gabriele Basilico
2008 – Beyrouth. © Gabriele Basilico

Architecte de formation, Gabriele Basilico s’est attaché à photographier les rues et bâtiments de Beyrouth. Comment décrire son architecture ?

Je me permettrais de citer l’anthropologue Sophie Brones. Dans son ouvrage Beyrouth dans ses ruines, elle parle de Beyrouth comme d’« une ville palimpseste ». 

Évoquant les différents niveaux d’urbanisme de la ville, elle dit : «  Constitués non pas d’encre, mais de pierre, de béton et d’autres matériaux, ils sont représentés par des bâtiments d’époques diverses qui, ensemble, font paysage : maison ottomanes aux toits de tuiles rouges, immeubles de rapport fondés sur le même modèle « à hall central », immeubles et bâtiments de l’époque moderne, tours – qui, des années soixante-dix à aujourd’hui, ne cessent de gagner en hauteur -, mais aussi ruines antiques ou médiévales ainsi que bâtiment partiellement détruits au cours de la guerre civile, jamais reconstruits, percés de trous, aux planchers effondrés. Ou encore, autres ruines, très provisoires, résultant d’immeubles fraîchement démolis sous l’effet de la spéculation financière. »

2008 - Beyrouth. © Gabriele Basilico
2008 – Beyrouth. © Gabriele Basilico

Que vous évoquent ces lieux photographiés ? 

Ils me sont tous familiers. Ma famille comme tant d’autres familles libanaises ont dans leurs archives de nombreuses images de la ville détruite en 1991. Ils ont filmé, photographié toutes ces ruines. C’est d’ailleurs intéressant de comparer les images de Gabriele Basilico à celles de mes parents, son regard d’étranger et de photographe professionnel à leur regard de libanais et d’amateur.  

« Le Beyrouth de mes parents, c’est La Petite Maison dans la prairie, version libanaise »

Pour les autres séries prises en 2003, 2008 et 2011, je pourrais décrire chaque coin de rue, chaque immeuble, chaque vue du ciel. Même le reflet de la pluie sur le bitume, l’odeur qui s’en dégage particulièrement en hiver. Je crois peu aux liens du sang mais avec Beyrouth, beaucoup de Libanais ressentent ce lien, c’est viscéral. Gabriele Basilico a cerné Beyrouth.

2011 - Beyrouth. © Gabriele Basilico
2011 – Beyrouth. © Gabriele Basilico

Comme vous l’évoquez dans votre livre Beyrouth-sur-Seine, vos parents ont créé à Paris un « Beyrouth à la maison », à quoi ressemble-t-il ? 

C’est un Beyrouth des odeurs, des sons mais aussi de leur jeunesse, un Beyrouth d’avant les photographies de Gabriele Basilico, un Beyrouth d’avant la guerre, un Beyrouth où il y avait beaucoup d’arbres, où l’on voyait encore la mer, où les immeubles en ruines n’existaient pas, où l’on trouvait des cinémas et des théâtres à chaque coin de rue, le fantasme d’un Beyrouth idyllique pour lequel je n’ai d’ailleurs aucune nostalgie. Le Beyrouth de mes parents, c’est La Petite Maison dans la prairie, version libanaise.

Beyrouth qui est d’ailleurs toujours le personnage principal de vos livres…

Cette ville me poursuit mais je ne crois pas à la personnification des villes. Une ville, c’est une ville. Elle prend vie grâce aux personnages qui évoluent avec et sans elle. Elle devient vivante lorsqu’on l’aime, la déteste ou qu’elle nous manque. 

« Je ne suis jamais parvenu à bien photographier Beyrouth, cette ville m’a toujours échappé »

L’une des plus belles phrases sur le lien à Beyrouth est de Georges Boustany, un auteur, journaliste et collectionneur de photos d’archives libanaises : « Beyrouth vous suivra jusqu’à votre dernier souffle, où que vous soyez, et c’est elle qui fermera vos paupières une dernière fois. »

2003 - Beyrouth. © Gabriele Basilico
2003 – Beyrouth. © Gabriele Basilico

En plus d’être écrivain, vous êtes aussi photographe, comment représentez-vous Beyrouth dans vos clichés ?

Justement, je ne suis jamais parvenu à bien photographier Beyrouth, cette ville m’a toujours échappé dans les images, probablement car mon Beyrouth ne se trouve pas qu’au Liban mais aussi ailleurs et cette multiplicité, je ne suis parvenu à l’atteindre que par l’écrit. 

J’ai été le commissaire de l’exposition « C’est Beyrouth », à l’Institut des cultures d’Islam de Paris où j’ai eu la chance de montrer des photographes qui ont cerné cette ville et ses habitants. Je pense particulièrement aux œuvres de Fouad Elkoury, Mohamad Abdouni ou encore à la très belle série « Les Bronzeurs » de Vianney Le Caer. La ville est inspirante pour les photographes, l’une d’entre eux la magnifie souvent, elle lui donne même des airs d’éternité : elle s’appelle Tanya Traboulsi. 

Pour ma part, je n’ai pas de projet photo en tête sur la ville même de Beyrouth mais je prépare un livre de photos et de textes avec l’anthropologue Sophie Brones sur des images prises à Paris par ma famille qui me rappellent Beyrouth.

Exposition : A la galerie Chateau d’Eau de Toulouse, Gabriele Basilico, « Retours à Beyrouth », (1er février – 14 mai 2023) – La Tour & Francesco Jodice, « West » (1er fév. – 2 avril 2023) – 2de Galerie. 

Livres : L’ensemble des voyages de Gabriele Basilico est présenté dans un livre publié aux éditions Contrasto : Ritorni a Beirut / Back to Beirut.

Beyrouth-sur-Seine, Sabyl Ghoussoub, éditions Stock, Prix Goncourt des lycéens 2022, 320 pages, 20.50€. 

2011 - Beyrouth. © Gabriele Basilico
2011 – Beyrouth. © Gabriele Basilico

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