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Ming Smith, œuvre d’amour et de lumière

Une exposition au MoMA de New York rend hommage au travail de la célèbre photographe afro-américaine, pour qui la lumière est le personnage principal de son oeuvre.

Regarder une photographie de Ming Smith, c’est se laisser guider par la lumière. Celle qui caresse la peau des danseurs de la compagnie Alvin Ailey, illumine une serveuse dans un restaurant, ou encore accompagne une famille dans les rues de Harlem.

« Les compositions me sont venues des jeux de lumière. Je me laisse guider par la lumière – dans tout ce qui bouge, vole, dans le ruissellement du soleil, dans les vibrations de l’obscurité », raconte la photographe dans le texte qui accompagne l’exposition « Projects : Ming Smith », présentée au Museum of Modern Art (MoMA) de New York jusqu’au 29 mai, et organisée en collaboration avec le Studio Museum de Harlem.

L’exposition, précise la photographe née en 1950 à Détroit, ne constitue pas une rétrospective, mais plutôt une introduction – ou plutôt, selon le musée, une réintroduction. Ces images picturales et abstraites ont été réalisées au début de la carrière de Ming Smith à New York, des années 1970 jusqu’à la fin des années 1990.

Ming Smith. Womb, 1992. Avec l'aimable autorisation de l'artiste. © Ming Smith
Ming Smith. Womb, 1992. Avec l’aimable autorisation de l’artiste. © Ming Smith

Ming Smith, femme pionnière

Organisée par Thelma Golden, directrice et conservatrice en chef du Studio Museum, et Oluremi C. Onabanjo, conservateur adjoint au Département de photographie, cette exposition est « un événement surréaliste », nous dit Ming Smith. « C’est comme un don de Dieu pour moi ». Et malgré la force spirituelle de son travail, une telle exposition s’est longtemps fait attendre.

Ming Smith travaille depuis plus de cinquante ans, et ses images ont été acquises pour la première fois par le Museum of Modern Art en 1978, faisant d’elle la première femme photographe noire de leur collection.

Pour cette exposition, Ming Smith espère que les spectateurs ressentiront la joie qui habite son projet qui « rend hommage au travail, à la culture, et échappe aux stéréotypes de la culture noire », dit-elle. Elle souhaite élargir la vision du public. « Peut-être que cela peut contribuer à rendre les gens plus ouverts. Ils peuvent découvrir un nouveau monde, qu’ils n’ont jamais vu auparavant. »

Elle espère également que l’intention et la sensibilité des commissaires de l’exposition se transmettront aux spectateurs, « comme une chanson de Billie Holiday ou d’Aretha, vous savez, I Say a Little Prayer », imagine la photographe. « Parce que j’ai voulu mettre un peu de cela dans mon travail, et j’espère que les gens repartiront avec cette impression. »

Black Arts Movement

La carrière de Ming Smith a été grandement influencée par le Black Arts Movement, fondé dans les années 1960. Ce mouvement culturel a donné naissance au collectif Kamoinge – dont la photographe sera le seul et unique membre féminin – et au magazine Black Photographers Annual.

Ming Smith, Sun Ra Space II. 1978. Avec l'aimable autorisation de l'artiste. © Ming Smith
Ming Smith, Sun Ra Space II. 1978. Avec l’aimable autorisation de l’artiste. © Ming Smith

Smith figure dans le premier numéro de ce dernier, paru en 1973. Et c’est Kamoinge, dit-elle, qui l’a aidée à comprendre la photographie comme une forme d’art, au-delà de sa fonction documentaire, et comme un moyen d’exprimer sa vision des choses en tant que Noire.

Fondé en 1963, le collectif Kamoinge a eu comme premier directeur le légendaire photographe Roy DeCarava. « Au lieu de tenter d’éclaircir ce qui était noir, il l’a encore assombri, contre toute attente. Ce qui est sombre n’est ni blanc ni vide – mais plein d’une sage lumière, qui révèle des splendeurs au spectateur attentif », écrit Teju Cole en 2015, à propos de DeCarava. Et ceci s’applique également au travail de Ming Smith.

« C’était la culture noire photographiée par des artistes noirs… pour que nous reprenions le contrôle de ce que nous étions, de tout ce qui comptait dans notre communauté », explique Ming Smith. « On parlait souvent de la violence et de la pauvreté, en oubliant que la communauté était culturellement florissante. »

« Mon travail est plus grand que moi »

Selon la photographe, le travail d’un artiste est de balayer les stéréotypes et d’éduquer le spectateur. « Cela faisait partie de mon rêve. Mon travail est plus grand que moi. Je suis heureuse d’avoir été remarquée, mais c’est mon travail lui-même que j’ai laissé en héritage », estime-t-elle. « J’essaie de transmettre de la joie et de faire comprendre au spectateur qui nous sommes. »

Ming Smith, The Window Overlooking Wheatland Street Was My First Dreaming Place. 1979. Avec l'aimable autorisation de l'artiste. © Ming Smith
Ming Smith, The Window Overlooking Wheatland Street Was My First Dreaming Place. 1979. Avec l’aimable autorisation de l’artiste. © Ming Smith

La collaboration entre le MoMA et le Studio Museum n’est que le début d’une série de temps forts, pour la photographe. L’exposition « Ming Smith: Feeling the Future » sera inaugurée au Contemporary Art Museum de Houston le 23 mai, et constituera sa première grande rétrospective.

Elle a également été sollicitée par Cadillac (ainsi que les artistes Petra Collins et Danielle Bowman) pour réinterpréter l’insigne de la déesse Cadillac, qui ornera le capot de leur nouveau modèle électrique. En août 2024, elle exposera au Wexner Center for the Arts de l’Ohio State University et à la Gund Gallery du Kenyon College. Le Columbus Museum of Art présentera également son travail.

« Les femmes ont plus de pouvoir »

Ming Smith

A ses débuts, Ming Smith était loin de s’attendre à pareille reconnaissance. « Être une femme photographe noire, c’était comme n’être personne », disait-elle en 2019. Elle ne songe pas alors à en faire une carrière. A côté d’autres emplois, c’est son travail de mannequin qui la fait vivre, à New York. « Je pense qu’il y a plus d’opportunités pour les femmes noires [de nos jours]. Il y a plus d’espace pour nous exprimer », dit-elle. « Le public s’intéresse davantage aux images, les femmes ont plus de pouvoir, et il y a beaucoup de conservateurs noirs, africains. »

Les images de Ming Smith sont nées de la vie même qu’elle a choisi de vivre. Ayant habité à Harlem et dans le West Village, elle écoute du jazz, assiste à des spectacles de ballet et à des concerts, sort avec ses amis, et toujours avec son appareil photo.

Ming Smith, August Blues, de "Invisible Man". 1991. Avec l'aimable autorisation de l'artiste. © Ming Smith
Ming Smith, August Blues, de “Invisible Man”. 1991. Avec l’aimable autorisation de l’artiste. © Ming Smith

L’amour des images

Ainsi a-t-elle non seulement immortalisé sa propre vie, mais aussi celle de stars telles que Tina Turner, Grace Jones, Nina Simone, James Baldwin, Sun Ra, Amiri et Amina Baraka, et tant d’autres. « Me trouver dans le West Village ou dans un cours de danse chez Alvin Ailey ou Rod Rogers, dans un temple au Japon, ou en Égypte, devant les pyramides, c’est ce qui a déterminé [mon travail] », confie-t-elle.

« J’ai photographié tout ce qui m’entourait, partout où je suis allée… J’ai photographié la culture. J’avais l’amour de le la culture et, par-dessus tout, l’amour des images. »

L’exposition « Projects : Ming Smith » est présentée au Museum of Modern Art (MoMA) de New York jusqu’au 29 mai 2023.

Ming Smith, African Burial Ground, Sacred Space, de “Invisible Man.” 1991. Avec l'aimable autorisation de l'artiste. © Ming Smith
Ming Smith, African Burial Ground, Sacred Space, de “Invisible Man.” 1991. Avec l’aimable autorisation de l’artiste. © Ming Smith

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