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Bob Gruen, 50 ans de photographie musicale

Bob Gruen, 50 ans de photographie musicale

Dans un éblouissant livre-souvenir, le photographe Bob Gruen retrace l’histoire du rock and roll à son époque la plus iconoclaste et révolutionnaire.
Bob Gruen and his car outside of the Westbeth Building, NYC. December 1976 © Karen Lesser

En matière de photographie de rock and roll, Bob Gruen est l’un des plus grands de tous les temps. Du portrait fondateur de John Lennon sur un toit de New York au cliché de Johnny Thunders et David Johansen perchés sur une poubelle devant la boutique Frederick’s of Hollywood: ses photos soigneusement composées, prises en tête à tête ou lors de concerts vont bien au-delà du glamour de la célébrité. Ils révèlent un regard grisant sur l’humanité, la créativité et l’originalité.

En véritable initié, Gruen a suivi l’histoire du rock and roll jusqu’à son apogée – et il a de quoi le prouver. Dans son nouveau livre, Right Place, Right Time : The Life of a Rock & Roll Photographer (Au bon endroit, au bon moment : La vie d’un photographe du Rock & Roll), Gruen nous emmène dans le tourbillon d’une vie extraordinaire et nous fait partager les coulisses de ses photos phares. Embrassant l’esprit et l’âme du rock and roll, le travail de Bob Gruen est une ode à la liberté.

Ici, il ne s’agit pas seulement de ce que l’on dit, mais aussi de comment, où et quand l’histoire est racontée. « Pour être indépendant, il faut se réveiller chaque jour au chômage. Il faut beaucoup d’efforts pour se débrouiller seul et ne pas écouter ses parents ou prendre un emploi juste parce qu’il est confortable et qu’il paie le loyer. Au contraire, il faut se retrouver dans une situation où vous ne pouvez pas payer le loyer et où votre téléphone est coupé. Mais ce n’est pas grave, car vous allez de l’avant, vers ce que vous voulez faire », explique Bob Gruen, qui commence à faire et à vendre des photos à 11 ans, en colonie de vacances.

Dans les années 1960, Bob Gruen débute comme photographe musical en se liant d’amitié avec les groupes, et leur fournissant des images promotionnelles. Par l’intermédiaire de ces derniers, il rencontre les publicitaires des maisons de disques qui apprécient son travail et le mettent en contact avec de nouveaux talents – comme un jeune pianiste anglais, un certain Elton John. Gruen est l’homme de la situation. « Je vivais comme eux, je restais debout tard le soir, j’écoutais les nouveaux disques quand ils sortaient et j’allais aux concerts », dit-il. « C’était naturel pour moi : je n’étais pas un journaliste qui travaillait pour un journal, chargé de couvrir la nouvelle scène au club CBGB. C’est là que j’étais, avec mes amis, et j’y ai rencontré des gens qui voulaient publier les photos que je prenais. »

Elton John and Stevie Wonder on Starship 1 airplane in Boston, MA. September 24, 1973 © Bob Gruen

Révolution

Lorsque Bob Gruen arrive à New York en 1965, le journalisme musical en est à ses débuts. La photographie se limite, dans l’ensemble, aux couvertures d’albums et aux affiches de concerts. « La musique était partout à la radio. On pouvait l’entendre, mais pour savoir qui était le groupe, c’est-à-dire voir à quoi il ressemblait, il n’y avait pas de vidéoclips, d’Internet et de magazines pour adolescents comme 16 et Hit Parade. C’est pourquoi les Beatles se différenciaient : ils avaient leurs entrées dans les grands médias, ce qui n’était pas le cas de la plupart des autres groupes », explique-t-il.

« Il y avait beaucoup moins de journaux et la photographie n’était pas accessible à tous. Il fallait avoir un appareil photo, ce qui était un équipement coûteux, et savoir comment le faire fonctionner, développer les photos, les tirer à temps et les livrer. Il n’y avait pas beaucoup de photographes dans la musique faute de revenus suffisants – ce qui n’était pas le cas de la mode ou de la publicité. »

Le lancement de la revue Rolling Stone, en novembre 1967, va tout changer: une nouvelle génération de journalistes et de photographes accorde à la musique la même considération qu’à la politique, la culture et l’art.  L’image et le son vont de pair, car ils véhiculent tous deux des éléments de style indispensables à une nouvelle génération qui veut faire entendre sa voix sur la scène mondiale. « Beaucoup de gens achetaient des disques attirés par la pochette de l’album. C’était quelque chose d’entièrement différent de tout ce qu’ils avaient vu auparavant et ils voulaient l’emporter chez eux pour découvrir ce qui s’y trouvait. » raconte Gruen. « Beaucoup de gens rapportaient le disque parce qu’ils ne l’aimaient pas ! »

Un héros de la classe ouvrière

Tina Turner multiple image on stage at the Honka Monka Club, NYC. July 8, 1970 © Bob Gruen

Le 8 juillet 1970, Bob Gruen, qui a 24 ans, flashe sur le légendaire duo R&B, Ike & Tina Turner au Honka Monica Club de New York et regarde Tina bouger comme une « tornade tourbillonnante » sous la lumière stroboscopique. Malin, Gruen ouvre son diaphragme pour une exposition d’une seconde, et laisse Tina et les stroboscopes faire le reste. Le résultat est en une exposition multiple de Tina Turner qui évoque l’esprit de la peinture de Marcel Duchamp de 1912, Nu descendant un escalier No2. Deux nuits plus tard, Gruen se rend dans le New Jersey pour les voir se produire à nouveau et montre les tirages à la graphiste Judy Rosen qui l’encourage à son tour à les montrer à Ike Turner.

Ike est impressionné, présente Gruen à Tina, lui propose d’acheter les photos et l’emmène chez United Artists, la maison de disques. Gruen rencontre le publicitaire Marv Greifinger qui lui achète 10 tirages pour 75 dollars. Comprenant que les publicitaires sont les véritables gardiens du temple, Gruen noue de bonnes relations avec eux, ce qui lui permet d’élargir son champ d’action, tout comme il maintient un lien direct avec les artistes.

« À l’époque, les artistes étaient beaucoup plus ouverts aux rencontres. Je n’avais pas accès à Frank Sinatra, mais j’ai croisé Richie Havens dans une rue du Village, je lui ai parlé et lui ai donné une photo, raconte Gruen. Je ne pouvais pas vraiment entrer en contact avec certaines personnes, comme Bob Dylan, mais des groupes comme les Clash se faisaient un devoir de rencontrer les gens. Ils laissaient leurs fans entrer dans les loges pour leur parler. C’est comme ça que je les ai rencontrés. Joe Strummer restait debout jusqu’à l’aube, non seulement pour bavarder avec ses fans, mais aussi pour leur demander à quoi ressemblait leur vie et ce que les chansons représentaient pour eux. Joe était constamment à l’écoute. »

Dans son livre, Bob Gruen partage des souvenirs de la tournée des Clash avec Bo Diddley, le pionnier du blues devenu rocker, dont les contributions soul lui ont valu le titre de « The Originator ». Les Clash, désireux de travailler avec une icône, acceptent d’être moins bien payés pour l’avoir en tournée – de sorte que, même si Bob Gruen fait la première partie du spectacle, il est mieux payé. Cet état d’esprit est omniprésent dans le livre : le photographe n’a pas photographié des stars, il s’est aligné sur l’état d’esprit des artistes avec lesquels il partageait les mêmes idées.

The Clash © Bob Gruen

Strawberry Fields Forever

La nuit où John Lennon est assassiné, Bob Gruen est dans sa chambre noire, en train de développer les photos qu’il a prises deux jours auparavant de John et Yoko Ono pour le Village Voice. Le meurtre insensé de Lennon choque New York, une ville alors en souffrance économique. Les autorités, comprenant l’ampleur de l’émoi populaire, organisent un mémorial au kiosque à musique de Central Park. Le promoteur de concerts américain Ron Delsener participe à l’organisation de l’événement et demande à Gruen une photographie pour l’affiche.

Gruen choisit alors le portrait réalisé le 29 août 1974 – celui où Lennon porte un t-shirt sans manches avec le logo de la ville de New York et des lunettes de soleil, les bras croisés, sur un toit de Manhattan, conçu à l’origine comme une photo publicitaire pour l’album Walls and Bridges. Gruen explique dans le livre qu’il a sélectionné cette image après que Yoko ait acheté une pleine page de publicité dans le New York Times avec le message suivant : « Ne blâmez pas New York pour la mort de John – ce qui s’est passé aurait pu se produire n’importe où. »

Portrait of John Lennon © Bob Gruen

Même si Lennon est resté britannique jusqu’au bout des ongles, se raidissant à l’idée de renoncer à sa citoyenneté, New York fut son foyer d’adoption, comme pour Gruen, et pour des millions d’autres. Lorsque Gruen décrit ce que signifie être New-Yorkais, ses mots rejoignent sa photographie : « Il y a une certaine dose de bon sens chez les New-Yorkais. Ils sont capables de déceler un état de choses, de s’en saisir rapidement, d’aller dans le sens du courant et d’en tirer le meilleur parti. Il y a une acceptation de la réalité puis on passe à autre chose. »

« Quand on vit à New York, on se sent tout le temps sollicité, et comme c’est une ville ouverte 24 heures sur 24, il se passe toujours quelque chose. Au bout d’un moment, la pression devient trop forte, alors ce que j’aimais c’était prendre un avion, quitter la ville et voir l’Empire State Building s’éloigner au loin derrière moi, sachant que je partais à l’aventure et que ça allait être passionnant. C’était l’une des meilleures choses que je pouvais faire. Puis, lorsque je revoyais enfin l’Empire State Building, je savais que j’étais enfin de retour à la maison. »

Par Miss Rosen

Miss Rosen est auteur. Basée à New York, elle écrit à propos de l’art, la photographie et la culture. Son travail a été publié dans des livres et des magazines, notamment TimeVogueArtsyApertureDazed et Vice.

Right Place, Right Time : The Life of a Rock & Roll Photographer de Bob Gruen est publié par Abrams Press, £13.99, $32.50.

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