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Images de Wild Style, premier long métrage sur le hip hop

Images de Wild Style, premier long métrage sur le hip hop

Le cinéaste Charlie Ahearn revient en photographies sur les modestes débuts du film Wild Style à l’occasion du 40e anniversaire de sa sortie.
FROSTY FREEZE, Patti Astor, DOZE, FRED, Ken Swift, Lil Crazy Legs, REVOLT, SHARP, Lady Pink 1983 © Martha Cooper

Attiré par les splendides fresques murales d’un terrain de handball, signées d’un mystérieux « LEE », le cinéaste Charlie Ahearn s’est aventuré, à la fin des années 1970, dans les HLM du sud de Manhattan, une caméra Bolex 16 mm en main. « Je me suis dit qu’un grand artiste venait de la rue », se souvient-il. « Je regardais les graffitis à travers le prisme des peintures murales de Lee Quiñones, qui étaient partout dans le Lower East Side – et je me disais : “Le voici!” ».

Ahearn se retrouve dans une jam locale où des gars s’affrontent en dansant, tandis que « Soul Power » de James Brown résonne dans le gymnase. La scène filmée, Ahearn revient montrer le travail dans une salle communautaire. « Il n’y avait presque personne parce que personne ne savait qui j’étais ni ce que je faisais », raconte-t-il. « Puis, de façon quasi militaire, un groupe de types est entré en file indienne avec, en queue, un mec plus âgé, Nathan Ingram, leur professeur dans une école d’arts martiaux. Il m’a dit : “J’aime beaucoup ce que vous faites et je voudrais faire un film avec vous”. »

Ensemble, ils réalisent The Deadly Art of Survival en 1979, inspiré de la lutte menée par Ingram contre les trafiquants de drogue du coin. Tourné en super 8 sur place, Charlie Ahearn filme sur le terrain de handball quand Lee Quiñones arrive en scooter. Ahearn veut alors qu’il participe mais Quiñones est insaisissable.

Une petite histoire

Stoop Rap KK Rockwell, Rodney C 1981 © Cathy Campbell

En juin 1980, le Times Square Show ouvre ses portes dans un salon de massages abandonné à l’angle de la 41e Rue et de la 7e Avenue. Organisée par Co-lab, l’exposition présente alors les œuvres de plus de 100 artistes émergents tels que Nan Goldin, Keith Haring, Jean-Michel Basquiat et John Ahearn – le frère jumeau de Charlie. Ce dernier et sa femme, Jane Dickson, concoivent l’affiche de l’exposition, tandis que John réalise la couverture du Village Voice, qu’il qualifie de « première exposition d’art radical des années 1980 ».

Le Times Square Show adopte des pratiques en opposition au système des galeries. Lors de cette exposition, Ahearn rencontre le graffeur Fred Brathwaite, alias Fab 5 Freddy, qui lui dit avoir vu des affiches de The Deadly Art of Survival« Fred m’a dit : “J’aime beaucoup ce que tu fais. Faisons un film ensemble’”», raconte Ahearn.

L’inspiration vient. Ahearn propose d’acheter des bombes de peinture pour que Fred et Quinones puissent réaliser une œuvre à l’extérieur du bâtiment et c’est ce qu’ils font: un grand FAB 5 en plein jour sans que le public ou la police s’en mêlent. Ahearn se souvient : « C’était le début du Wild Style. »

Le paradis et l’enfer sur terre

DONDI paints Zoro on set, 1981, camera John Foster © Charlie Ahearn

En juin 1980, Charlie Ahearn commence à travailler sur Wild Style, le premier long métrage sur le hip-hop jamais réalisé. Tourné dans le sud du Bronx, Ahearn immortalise les MC, DJ, b-boys et graffeurs pionniers de cette forme d’art encore clandestine, codifiant ainsi pour la première fois les quatre éléments du hip-hop.

Pour célébrer le 40e anniversaire de la sortie du film en 1982, un nouveau magazine retrace l’histoire de ce classique. Avec des icônes comme Fab 5 Freddy, Lee Quiñones, Lady Pink, Patti Astor, Glenn O’Brien, Grandmaster Flash, Cold Crush Crush Brothers et Rammellzee, Wild Style propulse la culture de la rue new-yorkaise sur la scène mondiale.

Dixie scene, Fab 5 Freddy, Lee Quinones, sound boom, Favid Beckerman 1981 © Cathy Campbell

« J’allais dans le Bronx depuis des années », raconte Charlie Ahearn. « Mon frère jumeau John y vivait déjà, et je me rendais au Fashion MODA. Après avoir fait la connaissance de Fred, on a commencé à aller aux soirées hip-hop et je suis immédiatement devenu un fan de ces soirées à cause des flyers. Ils indiquaient l’endroit où la fête allait se dérouler et avec quels participants, et je me suis dit : “Bon sang, c’est une vraie carte routière ici.” »

Tous les week-ends, le cinéaste se rend dans les quartiers chics pour découvrir la scène hip-hop naissante, bien avant qu’elle ne porte un nom. « Je fréquentais ces endroits assidûment chaque week-end et parfois j’apportais une caméra », dit-il. « L’appareil photo est devenu mon outil pour réfléchir au film : qui allait jouer dedans, les lieux, et les photos c’était ma manière de prendre des notes. »

Salsa Twins at Amphitheatre © Charlie Ahearn

Les photos imprimées, Charlie Ahearn les fixe au mur et commence à les organiser en storyboard. « Tous ceux qui y figuraient allaient être dans le film », dit-il. « Ça commençait sur les chantiers et ça se terminait dans l’amphithéâtre. Je n’ai jamais écrit de scénario. Lorsque nous avons enfin tourné, je suis arrivé sur le lieu choisi avec une feuille dactylographiée contenant les dialogues et les indications pour la caméra. C’était à la manière D.I.Y. : en improvisant. »

Sous le coup de la loi

Au début des années 1980, les photographes exposent leurs travaux en couleur sous forme de diaporamas dans les musées et les galeries, ainsi que dans les boîtes de nuit et les happenings. Charlie Ahearn décide de partager les images du tournage de Wild Style au Garage Ecstasyn de New York, un club à quelques encablures de l’appartement et du studio de son frère John.

Busy Bee scratch slide 1980 © Charlie Ahearn

« Il y avait un autre club dans le Bronx, Disco Fever, l’endroit idéal pour trouver des dealers de coke à deux heures du matin… Beaucoup trop cool pour moi », dit Ahearn. « Je voulais rencontrer les artistes. L’Ecstasy était une immense salle pleine d’adolescents buvant du Colt 45. Il y avait une seule ampoule au-dessus de la cabine du DJ. Le lieu parfait pour mon diaporama. »

Charlie Ahearn accroche deux draps blancs au mur, derrière la cabine du DJ, et installe deux projecteurs pour pouvoir les manipuler dans les deux sens, tandis que Grand Wizzard Theodore, inventeur du scratch, s’occupe des platines. « Je voyais Theodore tel un Thelonious Monk », se souvient Ahearn, « Il mixait tous ces disques, certains très obscurs, et le faisait d’une manière qui m’évoquait le jazz. »

Ecstasy Garage scratch slide 1980 © Charlie Ahearn

Chaque semaine, Ahearn partage un nouveau montage avec des images inédites, l’aidant à voir le film avant même le début de son tournage. « Les Fantastic 5 s’y produisaient et Busy Bee prenait le micro, rappant sur tout ce qui se trouvait sur les diapositives », raconte Ahearn. « Ils m’ont même mis sur le flyer en tant que ‘Charlie Video’ et j’ai eu l’impression de faire partie de la scène. C’est ce que j’avais essayé de faire plus tôt dans le cadre de mon projet dans les HLM. Dans mon esprit, le diaporama était un aperçu de ce qui allait suivre. »

Par Miss Rosen

Miss Rosen est journaliste. Basée à New York, elle écrit à propos de l’art, la photographie et la culture. Son travail a été publié dans des livres et des magazines, notamment TimeVogueArtsyApertureDazed et Vice.

Le zine Wild Style est publié par Beyond the Streets et sera disponible fin janvier 2022.

Cold Crush, Jane Dickson, FAB 5 Freddy in Tokyo © Charlie Ahearn
Wild Style Train de DONDI, Bronx, 1981 © Charlie Ahearn
Cold Crush at Wild Style office 1981, peintures de Jane dickson © Charlie Ahearn

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